Emile Sornin façon puzzle
Rencontre avec le compositeur et multi instrumentiste Emile Sornin qui vient de terminer la résidence du Yeah Are Family #2, accompagné de Lucie Antunes et Dombrance. Ce talentueux touche-à-tout nous détaille ses multiples projets, comment le hiphop lui a fait découvrir François de Roubaix, les contours du prochain album de Forever Pavot son projet pop psychadéliquobaroque, et pourquoi il apprécie tant les ambiances des BO de films noirs.
Avant le Yeah Are Family #2, tu avais déjà participé à des résidences ?
Oui quelques unes mais jamais dans ces conditions-là ! Déjà j’en effectue une, comme tous les artistes, avant de partir en tournée, c’est ce qu’on appelle les résidences artistiques. On se réunit avec les musiciens et on choisit l’ordre des morceaux que l’on va jouer, les arrangements, la lumière, …. J’ai également participé à plusieurs résidences de création. Il y a eu celle au conservatoire d’Angers avec une trentaine d’harpistes, une autre où l’on devait ré-orchestrer des titres de Forever Pavot avec des enfants à Verdun et une dernière avec le groupe Acqua Serge pour le festival du cinéma de la Rochelle en 2015. Pour cette dernière, on avait 30 minutes de musique à créer et on avait réadapté des thèmes de titres des deux formations. Ce qui était différent avec le Yeah Are Family c’est que nous devions créer un live de 45 minutes en partant de rien.
Raconte-nous comment se sont passés ces 5 jours ?
Lors de la première semaine de confinement, je me rappelle très bien avoir reçu un mail d’Arthur Durigon (un des organisateur du Yeah Are Family NDLR) me demandant si j’étais partant pour effectuer une résidence pendant laquelle j’allais gouter des vins, et déguster des plats préparés par un chef étoilé. Je pouvais difficilement refuser une telle invitation. Avec Lucie Antunes et Bertrand Lacombe, La résidence s’est donc déroulée à Gigondas dans le Vaucluse, dans le domaine Beaucastel de la famille Perrin, et j’étais accompagné de Lucie Antunes et Bertrand Lacombe alias Dombrance. Charles Perrin nous a fait visiter ses vignobles, déguster ses vins, nous avons également étudié les accords mets/vins avec le chef Laurent Deconinck. Nous avons été initiés à tous ces domaines par des personnes qui sont de vrais passionnés. Bon, il y a eu des journées plus actives que d’autres, quelquefois on ne se mettait pas à bosser avant 16 heures.
Le fait de travailler dans un tel environnement a-t-il eu un impact sur la musique que vous avez produite ?
Oui évidemment, mais pas que sur la musique, sur la bonne entente qu’il y a eu entre nous également. Le casting était bon parce qu’on était tous les trois friands de ces domaines-là. Du coup, cela nous a permis de créer de la musique dans de supers bonnes conditions. En dehors de cette résidence, l’état émotionnel dans lequel nous sommes joue sur notre musique, et dans le cas du Yeah Are Family ça a joué, et positivement.
Réussir à produire un tout qui soit cohérent et qui intègre vos sensibilités artistiques, ce n’était pas là tout le challenge de ce projet ?
Lucie, Bertrand et moi, nous sommes des control freak et on contrôle à 100% nos projets personnels. J’ai été obligé de m’adapter un peu plus que les autres car Bertrand et Lucie font de la musique électronique avec très peu de chant, alors que mon univers c’est la pop et la chanson. En général, Bertrand lançait des idées de rythmique avec ses boîtes à rythmes, de lignes de synthé, Lucie apportait le côté percussion acoustique, et moi j’étais plus là pour trouver des thèmes et des harmonies, nous étions vraiment complémentaires. On avait tous la volonté de partager, c’est tout l’intérêt d’une résidence, et pas que chacun reste dans son coin. Pour autant, cela n’a pas toujours été facile, quelques fois nous n’étions pas d’accord, mais nous n’écrivions pas un album, on devait faire une performance unique qui n’allait pas se reproduire, en terme d’égo c’est beaucoup plus simple à gérer. Il y a certains morceaux que j’assumerai sûrement moins en tant que Forever Pavot mais pour cette création ça m’intéressait de faire quelque chose que je ne ferais pas ailleurs. La finalité était de créer une œuvre qui soit vivante en live, pas juste un truc pour se faire plaisir. Il fallait s’adapter, faire des compromis et je pense que nous l’avons bien fait.
D’où est venue l’idée du Boncoin Forever, ce documentaire où l’on te voit sillonner la Vienne à la rencontre d’habitants qui avaient publié une petite annonce pour vendre un instrument de musique ?
C’est Guillaume Chiron, qui travaillait pour le Confort Moderne de Poitiers, qui m’a proposé cette idée-là. C’était en quelque sorte une résidence également puisque je devais aller voir des gens qui vendent des instruments sur leboncoin, les enregistrer sur place pour finalement créer une œuvre musicale. Je lui ai proposé d’en faire un disque et que cela soit filmé par un copain, afin d’un faire un petit documentaire. Le but était d’aller à la rencontre des gens et de trouver des instruments insolites, sans but de les acquérir, je n’ai d’ailleurs rien acheté. Le disque reste anecdotique, ce n’est pas vraiment un album mais plus une expérience.
Tu es un collectionneur frénétique ou tu arrives facilement à te séparer de tes instruments ?
C’est un peu un mélange de tout ça. Cela fait un peu plus de 10 ans que j’accumule des instruments. Des fois j’ai des lubies, des moments où certains m’intéressent plus que d’autres. J’ai commencé à acheter des synthés, puis des claviers électriques, des clavecins, des orgues, et des choses plus insolites comme les ondes Martenot, le Persephone ou encore un clavi-harpe. Je m’étais fait une liste des pièces que je désirai avoir, mais là je suis arrivé un peu au bout, je ne recherche plus grand chose aujourd’hui. Il y a plein de trucs que je rêvais d’avoir comme le semi modulaire Easel de Buchla. Je l’ai eu pendant 3 ans et je me suis rendu compte que c’était beaucoup trop compliqué pour moi. J’ai quand même besoin de simplicité et d’immédiateté quand je travaille avec un instrument.
Au-delà des sons provenant d’instruments, il y a dans Forever Pavot une recherche sur les bruitages qui est plutôt rare dans la pop.
Rechercher des sonorités dans des bruitages, la musique concrète, ce sont des éléments qui me parlent complètement, même si ma musique ne tourne pas autour de ça parce que j’estime faire de la pop. Mais être à la recherche de sons inattendus ou burlesques c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup effectivement.
Ta musique se nourrit des BO de film des 60/70’s, des compositeurs François de Roubaix, Morricone, ou encore Vannier. Comment t’est venu ce goût pour ces mélodies en noir et blanc ?
Ce qui étonne souvent les gens c’est qu’à la base j’ai une culture hip hop. Je faisais des instrus à base d’échantillons et je me suis rendu compte que les artistes que j’aimais samplaient beaucoup de musiques européennes des années 60 et 70. C’étaient des illustrations sonores, des BO de films italiens ou français. C’est comme ça que je me suis mis à m’intéresser à cette musique-là, et à la collectionner. Ca pouvait aller du jazz à la soul, en passant par la musique brésilienne, mais toujours dans cette même période. Naturellement, j’ai voulu mélanger le côté chanson avec ces musiques de films, tout en proposant quelque chose de nouveau, qui ne soit pas un pastiche. De façon générale, c’est la musique alternative qui m’a toujours attirée, que ça soit dans le hip hop ou le punk hardcore. La musique que l’on compose tout seul et que l’on partage aussi via des featurings, des mixtapes à la fin des concerts, ou des fanzines. Ce sont des choses que je retrouvais dans ces deux univers. Il y a un pont qui s’est fait naturellement autour de la scène new yorkaise des années 90 et que l’on appellait le new york hardcore, avec des groupes comme Madball. C’était des types qui faisaient du hardcore et qui avaient une attitude hiphop, au niveau de leur look, des slogans. Finalement, il y a beaucoup de points communs entre ces musiques.
Tu as travaillé sur deux BO : comment as-tu appréhendé le travail à l’image ?
Ce qui était plaisant dans les deux cas, c’est que l’on était venu me chercher parce que les réalisateurs et réalisatrices aimaient Forever Pavot et voulaient ce son, ce n’était pas une commande. Composer une BO était un de mes fantasmes. Comme j’ai été monteur puis réalisateur de publicités et de clips, le cinéma a toujours été un milieu qui m’attirait. C’était une expérience hyper intéressante mais pas simple à chaque fois. Sur certaines BO, trouver une piste prenait énormément de temps, il pouvait y avoir beaucoup de travail de réadaptation, surtout que j’enregistre en analogique et que tout doit être refait dès qu’un montage change… Alors que pour d’autres, j’avais déjà des musiques que je proposais avant le tournage et qui étaient juste adaptées au film. Les deux réalisateurs voulaient une musique un peu typée 70’s, des musiques à thèmes. Pour De Nos Frères Blessés, j’ai dû composer une musique un peu intemporelle, et en même temps le film se déroule pendant la guerre d’Algérie, donc avec des sonorités teintées années 60. Pour Baby Sitter la réalisatrice avait comme référence Les Lèvres Rouges, qui est la seule BO de film d’horreur que François de Roubaix a faite. Elle désirait avoir une ambiance très typée film dramatique, film d’horreur à la Dario Argento.
En 2017, tu as co-produit avec Sebastian l’album Rest de Charlotte Gainsbourg. Tu as pu trouver ta place dans une grosse production comme celle ci ?
Sébastian voulait un son “bidouillé” fait-maison pour ajouter à la grosse prod qu’il maîtrise. Du coup, j’ai tout enregistré dans mon appartement, avec les moyens que j’avais à l’époque. Il n’y avait pas vraiment de pression, même si pour un titre j’ai joué de la basse sur un morceau composé par Paul Mc Cartney ! La collaboration avec Sébastian s’est faite naturellement, il m’envoyait un morceau et me disait “tu as carte blanche, tu fais ce que tu veux dessus”. J’ajoutais des pistes de synthé, de guitares, des bruitages et il faisait son marché là-dedans. Il ne m’a donné aucune direction artistique, ce qu’il n’aimait pas il ne le prenait pas. J’ai rencontré trois fois Charlotte, mais je n’ai pas eu d’échange artistique avec elle, pendant l’élaboration de l’album.
Tu as réalisé plusieurs clips musicaux pour Dizze Rascal, Disclausure et Alt-j. As-tu déjà envisagé de passer à la réalisation d’un court ou long métrage ?
Là, je suis vraiment à fond sur Forever Pavot mais je me dis que je pourrais peut-être y revenir un jour. Si c’est le cas, je ne pense pas que ça sera pour faire des clips, j’en ai fait un peu le tour. La fiction me plairait bien, mais pour l’instant je n’ai rien en tête.
Tu es entrain d’enregistrer ton troisième album, sera t-il dans la continuité de La Pantoufle ?
Je ne peux pas te dire encore grand chose à ce sujet car on est en plein dedans, mais en gros oui ça sera un peu la suite de La Pantoufle. Ce que je tente de développer, c’est ce mélange entre de la musique de film et de la chanson. J’aimerais aussi avoir un chant plus compréhensible. Par rapport aux autres albums, les titres seront plus “chanson”, avec des ambiances très films noirs des années 50/60, très dramatiques, mais on retrouvera toujours des morceaux plus barrés, surréalistes, un peu absurdes. On a déjà enregistré la moitié des titres et a priori cela devrait sortir à la rentrée de l’année prochaine. Parallèlement à Forever Pavot, je continue de produire d’autres artistes. Je viens de le faire pour Lords, une bande de jeunes gars qui sont très talentueux et font du jazz un peu barré. C’est moi qui leur ai proposé mon aide quand je les ai découverts. J’ai également produit le EP d’un artiste, Le Bingo, qui s’avère être aussi un ami d’enfance. Ce sont toujours des coups de cœur qui me font choisir des projets.
Merci à Emile Sornin de nous avoir accordé cet entretien