Laure Brisa : Harpiste électronirique
Formée à l’art vivant, la harpiste Laure Brisa construit des scénographies où musiques et visuels s’entremêlent autour d’une étrange féérie. S’affranchissant des codes de la harpe classique, elle s’entoure de compositeurs et producteurs de musique électronique, apportant expérimentation et finesse des arrangements à ses comptines pop. Différentes collaborations l’ont amenée à composer une musique de film et participer à une série de concerts hommage à l’artiste Philip Glass. Sur le point de finaliser son projet Comètes, elle nous fait le plaisir de répondre aux questions de jaimebeaucoupcequevousfaites.
Pourquoi avoir choisi cet instrument atypique ?
Quand j’avais 5 ans, j’ai assistée à un concerto pour flûte et harpe de Mozart avec mes parents. Apparemment, je suis sortie de ce spectacle en disant que je voulais jouer de la harpe, et étonnamment mes parents ont accepté ma demande. Je ne sais pas si cela a vraiment été un coup de cœur ou si j’étais impressionnée par cet imposant instrument. Je suis ensuite entrée au conservatoire où j’ai eu un parcours tout à fait classique. Vers 15 ans, j’arrête la harpe car je commence à écouter du rock, à me passionner pour les Doors, et je m’éloigne complètement du répertoire de la harpe. Mes parents étant dans le monde du théâtre, je m’y suis également intéressée, j’ai notamment découvert le théâtre polonais de Kantor. Cela m’a donné envie d’être sur scène, dans l’art vivant, et j’ai complètement lâché la musique à ce moment-là. J’y suis revenue après avoir eu un parcours théâtral assez riche, mais toujours en côtoyant des musiciens. Lors d’un spectacle on m’a demandé de ressortir ma petite harpe d’enfant, cela faisait 13 ans que j’avais arrêté d’en jouer, je me suis alors remise à travailler mon instrument de manière plus poussée. Cela a provoqué en moi une envie d’écrire, de développer mon propre univers, et riche d’une expérience de la scène, j’ai repris mes études de harpe en me disant qu’il fallait que je maîtrise cet instrument.
Quand vous avez débuté votre projet, votre ambition était déjà d’intégrer la harpe au sein d’arrangements électroniques ?
Au départ mon projet était très brut, et puis j’ai commencé à faire des recherches sonores, à vouloir triturer le son de ma harpe en l’amplifiant, en y ajoutant des effets. Apporter une pédale de boucle dans mon setup m’a aussi permis de construire ma musique sous forme de couches. Les différentes rencontres que j’ai pu faire m’ont également amené à m’intéresser à ce style de musique, notamment Romuald Lauverjon qui a collaboré avec Justice et Nicolas Petitfrère qui est producteur de musique électronique. Toutes ces rencontres se sont faites par hasard; ce que j’aime c’est découvrir des artistes qui ont une certaine façon d’aborder l’art dans leur propre domaine. Je ne fais jamais appel à un musicien parce que j’ai besoin d’un son ou d’un instrument en particulier. Lorsque je collabore avec d’autres artistes c’est que nous partageons le même désir de création.
Vous développez un univers musical très onirique, d’où viennent vos sources d’inspiration ?
C’est un peu comme pour la musique, mais au lieu de jouer avec les couches sonores ce sont des thèmes qui se superposent. La chanson Barley Sugar l’illustre bien, il y a deux inspirations dans ce titre : un événement très concret qui est le trajet en RER que je faisais très tôt le matin, et des souvenirs autour de femmes disparues. L’idée du projet Comètes c’était de présenter un autre endroit de l’être : la folie, la mort, des rêves, mais tout en étant très joyeux et dansant, je ne voulais pas faire quelque chose de morbide. L’idée de départ peut provenir simplement d’un rêve, c’est le cas de La sirène par exemple, le rêve est pour moi un terrain propice à la création. Quelquefois je me dis qu’il faudrait que tout cela soit plus logique, que je sois plus cohérente dans mes thèmes, mais dans la mesure où cela résonne en moi je considère que ça l’est. Ce qui m’intéresse c’est de créer des morceaux qui soient comme une scène de théâtre ou une série de tableaux, mais sans que l’ensemble ne raconte une histoire avec un début et une fin. Une artiste qui le fait remarquablement, c’est PJ Harvey, chez elle chaque morceau est une scène, une situation.
Comment composez-vous , est-ce que l’idée de base provient toujours de la harpe ?
Je n’ai pas du tout de méthode, ce qui d’ailleurs peut parfois être énervant. Ça dépend vraiment des morceaux. Pour Today Is A Begining je suis partie de deux accords d’une basse des danses de Debussy, j’ai développé autour de ce thème, et les textes sont arrivés par la suite. Pour Barley Sugar c’est l’inverse, j’ai d’abord écrit les paroles puis la musique. Sur un des titres du premier EP, A quelle heure vient la tempête, les accords ont été trouvés sur le piano d’une loge avant un concert. Je ne me sens pas vraiment une pure instrumentiste, même si je ne me vois pas jouer d’un autre instrument.
En quoi consiste le projet “Comètes” débuté en avril 2020 ?
Pour ce projet le processus a été long. Initialement j’avais écrit une quinzaine de titres mais je ne savais pas m’enregistrer. J’ai demandé de l’aide à Romuald Lauverjon qui a enregistré et réalisé 4 morceaux. Il m’a encouragée à apprendre les bases de l’enregistrement, je me suis formée sur Ableton Live (séquenceur musical N.D.L.R), et j’ai pu enregistrer seule l’ensemble des autres morceaux. J’ai envoyé ces maquettes à plusieurs labels, et Thomas Duval, qui travaille chez Because, m’a répondu en me conseillant de contacter Nicolas Petitfrère. Je l’ai rencontré et nous avons également travailler sur 4 titres. Je me suis retrouvée avec 8 morceaux assez aboutis et bien produits qui avaient des couleurs différentes. Mon frère m’a alors conseillée de sortir un morceau par mois pour avoir régulièrement de l’actualité. J’ai fait le rapprochement avec les jours de pleine lune et j’ai décidé de sortir un morceau avec une vidéo à chacune d’entre elles, et un EP composé de quatre titres à chaque saison. L’aboutissement de ce projet serait de faire un vinyle qui rassemblerait 10 morceaux parmi les 16 qui sont sortis. En parallèle, je suis en train de porter ce projet sur scène. La première date est prévue le 17 juillet au festival des Nuits Secrètes. Par la suite, je partirai en tournée sur des scènes nationales et des théâtres car j’ai travaillé sur une écriture de plateau, avec une scénographie particulière et un décor fait sur mesure pour le spectacle. Je serai entourée d’un ingénieur du son, d’une équipe qui gèrera les lumières et d’une régisseuse plateau. Pour ce projet, j’ai monté une structure qui fonctionne comme une compagnie de théâtre. Je suis vraiment hors cadre musical, je n’ai pas de label, c’est de l’autoproduction. Je serai toute seule sur scène, la plupart de la musique sera créée en live et il y aura aussi des boucles. Cette tournée va représenter une étape importante pour moi car jusqu’ici je gérais les choses toute seule et là je suis accompagnée d’une équipe solide et talentueuse.
Vous avez réalisé la musique du film Lovers, ainsi que celle d’une performance filmée de la danseuse Manon Bouquet. Comment avez-vous appréhendé cet exercice particulier de la musique à l’image ?
Ces deux films ont été réalisés par mon frère Alexandre Brisa avec qui j’ai un lien artistique très fort. Pour Lovers j’ai composé la musique avec Romuald Lauverjon. J’avais déjà joué de la musique de scène pour des spectacles de théâtre, mais jamais à l’image. Nous n’avions pas beaucoup de temps pour la faire mais Alexandre nous avait indiqué des références, nous avions donc une direction à suivre pour créer le thème. J’ai adoré cet exercice car l’image m’inspire beaucoup. Le film avec Manon était initialement une commande de la Blogothèque. J’étais en train de travailler sur le titre Today Is A Begining et mon frère m’a demandée si je me sentais de faire la musique de cette vidéo. Je lui ai fait écouter l’ébauche du titre, et il a trouvé ça très intéressant. Je me suis également rapprochée de Manon car elle n’avait pas encore écrit sa danse, alors que je m’attendais à la voir avant de composer. Ce que j’ai apprécié dans cet exercice c’est que cela se fasse sous contraintes, notamment de temps, cela m’aide énormément.
Vous travaillez votre voix de façon très variée : précise avec une captation proche, en transformation pour incarner différents personnages, et traitée comme un instrument, uniquement sur la sonorité.
Complètement, je me suis également beaucoup inspirée de Gesualdo pour les chœurs, notamment sur son travail sur la dissonance et la reproduction des chants de la nature. L’enregistrement des chœurs a été réalisé avec Romuald car il sait très bien le faire, et j’ai beaucoup appris à ses côtés. Il y a effectivement certains textes que je n’arrive pas à chanter et j’utilise alors plus des voix parlées. Pour La chambre notamment je me suis enregistrée de sorte à donner cette impression de voix intérieures chuchotées. Il est très particulier ce morceau, très étrange, et la voix y est pour beaucoup. La première fois que j’ai entendu ma voix je ne l’ai pas du tout acceptée, maintenant je l’assume complètement et j’adore chanter, c’est presque un besoin nécessaire. Je la travaille encore énormément, je pense que je ne la connais pas encore complètement, et la chose la plus essentielle pour moi c’est d’être toujours dans la justesse.
En 2019, vous avez débuté un projet avec Maud Geffray (membre de Scratch Massive N.D.L.R) autour de l’œuvre de Philip Glass, musicien et compositeur américain qui est un des pionniers de la musique minimaliste. Comment cette collaboration a- t-elle vu le jour ?
Ce projet avait pour but de faire se rencontrer un musicien de musique électronique et un instrumentiste classique, autour d’une co-création rendant hommage à un artiste minimaliste. Maud avait le choix entre plusieurs compositeurs et c’est Philip Glass qu’elle a choisi. Cette création a donné lieu à un disque Still Life et une série de concerts. Je n’ai pas participé à la création de l’album, c’est Maud et Lavinia Meijer, qui est une harpiste classique hollandaise, qui l’ont composé. Comme cette dernière était très prise et qu’elle ne pouvait assurer toutes les dates des représentations, Maud a fait appel à moi. J’avais travaillé avec Flavien Berger qui est sur le label Pan European (également label qui a produit Still Life N.D.L.R) et je pense que ce sont eux qui lui ont parlé de moi. Finalement, j’ai remplacé Lavinia Meijer, en reprenant sa partition à la lettre et on a débuté une série de concerts. C’était quand même un challenge pour moi de remplacer une harpiste de ce niveau, car même si la musique de Glass comporte peu de notes, certains passages sont très rapides et ardus. Et puis cette collaboration m’a permise de rencontrer Maud avec qui je prends beaucoup de plaisir à travailler.
Dates de la tournée des Comètes :
17 juillet 2021 : Première Festival des Nuits Secrètes
23 et 24 novembre : Bonlieu Annecy
11 février 2022 : Barbacane (IDF)
8 mars 2022 : théâtre du Vellein – Villefontaine
11 mars 2022 : Odyssée d’Eybens
15 mars 2022 : Lux, Valence