Entretiens

Requin Chagrin

Soutenu par La Souterraine et le FAIR, Requin Chagrin a su grandir et s’aguerrir sur scène avant de signer chez une major et s’élancer en pleine mer. Deux ans après la parution de Sémaphore , le dernier album Bye Bye Baby synthétise toutes les influences de Marion Brunetto, du garage à la new wave. Le son s’est enrichi, l’écriture complexifiée, la voix affirmée, sans pour autant dénaturer ses mélodies mélancoliques de fin d’été. Ce requin là n’a pas fini de nous faire frissonner… de plaisir.

A l’âge de 12 ans tu commences à jouer de la guitare, tu apprends ensuite la batterie, la basse et enfin les claviers : ton ambition était de devenir le nouveau Prince ?

Non (rires) j’ai d’abord été attirée par la guitare parce que mon grand frère avait pris des cours un peu avant moi, cela m’avait poussé à commencer par cet instrument. Très vite j’ai été aussi attirée par la batterie, puis la basse. Je ne me suis penchée que récemment sur les claviers, ils ont tous des colorations particulières et cela m’a apporté pas mal d’idées. Quand j’ai commencé l’apprentissage de ces instruments j’étais adolescente, j’avais très envie de jouer de la musique, et comme où j’habitais il n’y avait pas énormément de groupe, ça me permettait de m’exercer. C’était ma passion, après les cours je ne faisais que ça. Je n’avais pas encore l’ambition de monter un groupe mais juste de m’amuser.

Parallèlement à Requin Chagrin, tu as également fait partie de deux groupes en tant que batteuse, Les Guillotines et Alphatra. Continues- tu de jouer avec eux ?

Malheureusement non, j’ai fait un concert avec les Guillotines il y a environ un an, mais je pense que tout le monde est un peu passé à autre chose, en tout cas j’en garde d’excellents souvenirs. Déjà j’adore jouer de la batterie et il y avait une super ambiance dans ces deux groupes. C’était l’époque des premiers concerts à Paris, qui étaient plus des squats, on avait un esprit très punk. Et puis les Guillotines m’ont permis de découvrir d’autres styles de musique comme le garage. Il y avait une fougue, une urgence que j’appréciais. On côtoyait pas mal de groupes et j’ai pu observer comment ils enregistraient sur leurs 8 pistes cassette, c’est ce qui m’a poussé à m’en acheter un. Ces deux groupes m’ont vraiment donné envie de commencer à composer.

Compilation La Souterraine Vol.5

Tu as été repérée par La Souterraine, une association qui publie des compilations et albums d’artistes ayant peu de diffusion. Comment t’es-tu retrouvée à travailler avec eux ?

Ca c’est fait vraiment par hasard car on ne se connaissait pas du tout. Quand j’ai terminé ma première chanson Adélaïde,  j’ai créé un compte soundcloud pour partager ma musique. En me baladant sur ce site, je suis tombée sur la page de la Souterraine et j’ai découvert le groupe Trotski Nautique que j’avais bien aimé. Je me suis abonnée à leur page pour être tenue au courant de leur sortie, et finalement ce sont eux qui m’ont contactés.

Le premier album a un son très low fi, c’était une volonté artistique ou un manque de moyen, de temps ?

C’était un peu tout, j’étais en plein dans le garage avec les Guillotines et tous les groupes que je fréquentais. J’avais envie de faire un truc complètement do it yourself : en plus de composer des chansons, qui est toujours un petit défi, je souhaitais également les enregistrer et les mixer. J’étais effectivement dans l’urgence, dans l’excitation de faire toutes ces choses le mieux possible. Quand je réécoute ces chansons maintenant, je trouve que c’était bien de les faire avec ce peu de moyen là. Je me rappelle des prises de batterie notamment, pas du tout réalisées dans les règles de l’art, je savais à peu près où placer les micros mais ça s’arrêtait là (rires). Tout cela donne effectivement ce rendu très low fi et un peu brouillon mais ça représente bien l’état d’esprit de l’époque.

Tu es seule maître à bord de ton projet, comment arrivestu à prendre le recul nécessaire sur ton travail ?

Franchement ça dépend des moments, des chansons aussi. Certains titres sont évidents alors qu’il faut en laisser d’autres de côté et revenir dessus plus tard. Ça dépend aussi des disques, le premier c’était tellement une énorme découverte que j’étais à fond, il y avait moins besoin de recul car ce que je faisais me semblait évident. Sur le deuxième, c’était un peu plus prise de tête, il y a eu beaucoup de recherches et de démos. Le processus était plus long, c’était plus difficile d’avoir du recul, surtout qu’on avait fait pas mal de dates et que l’on enchaînait avec les premières parties d’Indochine, ça faisait beaucoup d’événements en même temps. Bye Bye Baby, j’ai commencé à l’écrire au tout début 2020, avant la crise du covid, jusqu’en août 2020. J’étais vraiment confinée avec ce disque, mais bizarrement, vu que l’on perdait un peu la notion du temps, j’étais dans une bulle et j’ai trouvé ça plus récréatif, je me suis plus amusée. De façon générale je n’aime pas faire écouter mes titres, même pas à ma famille, des fois un avis peu déstabiliser et j’aime bien être le plus concentrée possible.

Ramatuelle 2021 (© Lucrate)

Sur le premier album ta voix est noyée dans la réverbe, elle est beaucoup plus claire sur le dernier, il t’a fallu l’apprivoiser avant de vouloir la mettre plus en valeur ?

Je pense qu’il y a plusieurs paramètres qui rentrent en compte. Lors de l’enregistrement du premier album je ne pratiquais pas le chant depuis très longtemps, j’avais effectivement besoin de noyer ma voix dans toute cette réverbe, et puis cela correspondait bien au style de musique que j’écoutais à l’époque. Sur Sémaphore je me suis dit qu’il fallait faire un pas en avant pour qu’elle soit plus présente. Je n’avais peut être pas aussi la bonne méthode, chaque disque correspond à un apprentissage du son et sur le dernier on y a fait plus attention. J’ai utilisé une autre méthode pour les prises de voix sur Bye Bye Baby et le producteur Ash Workman a bien su les éclaircir sans que cela n’écrase la musique.

Tu continues à t’enregistrer sur du matériel analogique, pourquoi ce choix ?

Pour Sémaphore j’avais envie de composer dans le sud de la France et de m’installer un studio un peu nomade. J’avais demandé des conseils à Dominique Blanc-Francard (célèbre ingénieur du son et producteur français NDLR) pour m’équiper un petit mieux tout en respectant ma façon de travailler, qui est un peu bordélique et analogique. Il m’avait conseillé d’investir dans une carte son et d’essayer Protools, mais finalement cela demande beaucoup d’investissement et je n’ai pas trouvé ça très pratique. Pour autant j’utilise quand même des outils numériques car après avoir passé l’étape de l’enregistrement sur bande, j’enregistre tout sur mon ordinateur et je commence un travail de tri et d’édition. C’est un travail très long, pas vraiment pratique, et si quelqu’un veut enregistrer un morceau avec moi il a le temps de se tirer une balle parce que ça prend des plombes (rires).

Sweet home studio (© Ella Herme)

Une des chansons de Bye Bye Baby s’appelle Juno, c’est en hommage au célèbre synthé analogique de Roland ?

Effectivement, cette chanson je l’ai composé avec un Juno 106 que l’on m’avait prêté, du coup je l’avais nommé comme ça pour m’en rappeler, et j’avais du mal à lui trouver un autre nom. Finalement, je trouvais que ça faisait un chouette clin d’œil pour les amateurs de ce synthé. Avant le Juno, je n’avais pas trop joué de claviers et surtout pas avec ce type d’appareil où tous les réglages sont accessibles directement. C’est hyper musical et quelquefois un accident peut amener à un truc improbable que l’on ne refera jamais deux fois.

En 2018 tu signes sur le label KMS Disques de Nicola Sirkis. N’y avait-il pas un risque de rester dans une sorte d’entre-soi et que l’influence d’Indochine devienne omniprésente ?

Je n’aurais jamais pensé rencontrer un jour mon idole d’adolescence, et encore moins qu’il me propose de m’accompagner sur un disque via son label. Il y avait le côté “signature sur une major”, qui, je ne sais pourquoi, a toujours mauvaise réputation. Je me suis posée plein de questions avant de choisir la meilleure option pour la suite. J’avais cette opportunité qui ne se serait peut être pas représentée une deuxième fois, et je ne regrette pas de l’avoir saisie. J’en ai parlé un peu autour de moi, notamment à de bons copains qui sont dans l’indé pur et dur, qui m’ont dit que j’avais fait le bon choix, ça m’a aussi aidé à prendre cette décision.

Comment as tu vécu le passage d’un projet do it yourself à un accompagnement par une grosse structure ?

Franchement la transition a été assez rapide. Déjà j’ai eu la chance d’avoir le soutien du FAIR, une association qui accompagne chaque année 15 artistes. Ils nous ont déjà bien aidé à passer de l’indé à une plus grosse structure. Nicola a toujours été bienveillant avec ma musique, il adore le son un peu “pérave” de mon premier album (rires), c’est une démarche qu’il apprécie aussi et il a envie que ce genre de musique soit plus reconnu. Il ne me pousse pas à changer ma musique. Évidemment, j’ai envie de lui faire plaisir mais c’est une histoire de confiance réciproque parce que je lui confie en quelque sorte mes chansons. Si je pense qu’un titre ne doit pas figurer sur un album, même si lui l’apprécie, on ne va pas le garder.

En ayant beaucoup plus de moyens à ta disposition, n’as-tu pas eu la tentation de t’appuyer sur la production au détriment de la composition ?

Non parce que l’équipe avec qui j’ai travaillé était très carrée. Après c’est vrai qu’au début j’étais un peu toute seule, c’était vraiment un nouveau chapitre qui s’écrivait et je me retrouvais dans une énorme maison de disque, mais l’équipe qui m’accompagnait était relativement petite. Je pense que tout était très clair et sain, alors oui c’est toujours flippant de faire un deuxième disque, quelles que soient les conditions, mais le label a réussi à me rassurer et à m’accompagner du mieux possible.

Comment se sont déroulés l’écriture et l’enregistrement par rapport au premier album ?

Je pense que j’étais un peu inquiète bizarrement, même s’il y avait plein de supers choses qui m’arrivaient en même temps. J’avais vraiment envie de faire une suite logique à ce premier album, je me suis beaucoup questionnée, je n’avais pas envie de travailler avec un producteur que je ne connaissais pas dans un studio renommé, je voulais vraiment continuer de faire ce disque à la maison et tout le monde était d’accord avec ça. Mais je suis quand même retournée un petit peu en studio avec Adrien pour pouvoir bien travailler le son.

Venons-en à Bye Bye Baby, ton dernier album sorti en avril. Qu’elle en était l’ambition artistique, d’arriver à conjuguer le garage, la pop et la new wave ?

Oui complètement, il est un peu plus hybride dans les influences, j’ai même des fois du mal à dire vraiment ce qui m’a inspiré sur ce disque. Comme pour Sémaphore j’ai fait beaucoup de démo pour cet album. Pendant le confinement, je composais tous les jours, j’ai vraiment eu beaucoup de matière pour trouver un son qui soit une alliance de tous ces styles, sans que l’un soit plus présent que l’autre, qu’il y ait un équilibre.  A cette époque j’étais fascinée par MGMT, j’écoutais beaucoup Beach House, Sons Of Raphaël, et j’ai découvert le label Italian Do It Better. Cet album, c’est aussi un mélange de toutes ces influences.

Le thème de la mer se retrouve sur plusieurs titres de ce disque, ce sont les souvenirs des embruns du golfe de Saint-Tropez qui ont accompagné l’écriture de l’album ?

Vu que j’avais un petit peu commencé à l’enregistrer à Ramatuelle, ça m’a rappelé des choses, et c’est vrai que dans certaines chansons j’avais envie de raconter un peu ce que ça pouvait faire de se déraciner, d’aller autre part. Ca a été un peu le grand voyage pour moi de m’installer dans la capitale. J’aime beaucoup Paris mais je sais que je peux revenir à Ramatuelle quand je le souhaite.

Tu t’es entourée de l’ingénieur du son Ash Workman (Metronomy) et de Chab (Daft Punk, Air) pour le mastering.  C’est toi qui a choisi de travailler avec eux ? comment s’est passée la collaboration pour quelqu’un qui a l’habitude de tout contrôler ?

Chab j‘avais déjà eu le plaisir de bosser avec lui sur Sémaphore, il collabore aussi avec Indochine depuis longtemps et c’est la référence du mastering. Quand le label m’a proposé son nom j’étais enthousiaste, car pour le mastering du troisième disque il n’y avait pas de raison que l’on change de personne. Pour le mix et la production on savait forcément vers qui se tourner et avec quelle casquette. Au départ je souhaitais, une fois les maquettes terminées à la maison , aller en studio pour les réenregistrer. Nicola trouvait qu’elles étaient suffisamment abouties, qu’il fallait juste refaire les prises de batterie, qui sont impossibles à faire en home studio, et ensuite faire appelle à quelqu’un pour le mix. Cette proposition me faisait plaisir car c’était en quelque sorte un compliment mais également un challenge. Me retrouver toute seule au studio ICP pendant 1 semaine, c’était quand même impressionnant. Finalement, on a fait comme ça, je suis partie avec Gaël mon claviériste, qui est mon oreille de confiance, et on a passé une super semaine. C’était très speed, il a fallu faire 13 batteries et 13 voix en 1 semaine. Pour le mix on a fait des essais avec des personnes dont j’appréciais le travail et finalement on a choisi Ash parce qu’il avait une approche similaire à la mienne. Il y a une dynamique dans ce qu’il fait, et je trouvais intéressant de travailler avec un anglais, surtout avec les influences que j’ai. Je devais aller le voir mais avec la pandémie on a dû échanger uniquement par mail, c’est un peu dommage j’aurais bien aimé travailler en studio avec lui.

Pour terminer cet entretien peux-tu nous dire quelques mots au sujet de titres qui ont influencé Requin Chagrin :

The Brian Jonestown Massacre – Bout Des Doigts

The Brian Jonestown Massacre je les ai découverts quand j’étais avec les Guillotines, c’était LE groupe culte du groupe. Je ne les ai encore jamais vus en concert mais je ne désespère pas. J’adore cette chanson Bout des doigts c’est un de leurs classiques. Tout le monde me parle du documentaire Dig qui est sur eux, il faut que je le vois.

The Durutti Column – The Missing Boy

C’est un pote qui m’a fait écouter ce titre sur youtube alors que je ne connaissais pas ce groupe. C’était un live au Japon je crois, ils n’étaient que deux sur scène, dont un batteur qui vient du jazz. Le morceau est assez répétitif mais en live il prend une autre dimension, je trouve que la version album est beaucoup plus douce.

Cocteau Twins – Sugar Hiccup

Quand je les ai découvert il y a une dizaines d’année, j’avais trouvé ça cool mais je n’étais pas subjugué, et puis il y a 3 ans je les ai redécouvert car on me disait souvent que certains titres de Requin Chagrin faisaient penser à eux, et là j’ai été complètement hypnotisé par leur son, je suis même allé jusqu’à rechercher la reverbe qu’ils utilisaient.

The Cure – A Forest

Un de mes derniers souvenirs de concert que j’ai avant la pandémie c’était le festival Rock En Scène. C’est là que j’ai vu pour la première fois The Cure et c’était monumental ! J’avais pris mon pass parce qu’ils étaient à l’affiche, je voulais les voir au moins une fois dans ma vie.  Je ne l’ai pas du tout regretté, le set était super long et ils jouent de façon incroyable.

Indochine – Punishment park

Je l’adore ce morceau, c’est difficile de donner mon préféré parce qu’ils ont une discographie riche et variée. Sur ce disque Le Baiser n’a pas vieilli, c’est très épuré. Indochine c’est le groupe que j’ai écouté le plus adolescente.

Merci à Marion Brunetto de m’avoir accordé cet entretien.

Prochaines dates de concerts de Requin Chagrin :

23.07 HYERES (83) MIDI FESTIVAL
15.09 BRUXELLES (BE)
18.09 BOULOGNE-SUR-MER (62)
23.09 LIMOGES (87) FRANCOPHONIES
15.10 CLERMONT-FERRAND (63)
21.10 TOURCOING (59)
28.10 PARIS (75) MAROQUINERIE
10.11 BORDEAUX (33)
25.11 ST GALLEN (CH)
26.11 AARAU (CH)
27.11 NYON (CH)
17.12 LYON (69)
18.12 MARSEILLE (13)
12.02 AIX-EN-PROVENCE (13) 6MIC
31.03 TOULOUSE (31) LE METRONUM
01.04 MONTPELLIER (34) ROCKSTORE
15.04 LE PRÉ-SAINT-GERVAIS (93) L’AUDITORIUM


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