Hyperactive Leslie : Human machine
Après de nombreuses collaborations, le batteur et percussionniste Antonin Leymarie ré endosse son costume homme-orchestre pour développer son projet solo Hyperactive Leslie. Sur scène, il déploie un dispositif scénique lui permettant de sculpter ses sons en temps réel sans aucune programmation. Inspiré à la fois par les percussions de l’Afrique de l’ouest, le jazz et la techno minimale, il développe une musique organique qui nous emmène irrémédiablement vers la trance.
Ton parcours musical débute par une formation classique ?
J’ai effectivement appris la percu classique dans un conservatoire de quartier à Paris. Au départ je voulais faire de la batterie mais il n’y en avait pas, je me suis rapidement orienté vers les timbales, les marimba, le vibraphone, et j’ai tout de suite accroché. J’ai joué beaucoup de musique contemporaine car il n’y a pas trop d’écriture ancienne pour la percu, ça n’a débuté qu’à partir des années 60. La suite logique aurait été d’entrer au conservatoire supérieur, mais je n’ai pas voulu passer les concours pour être en orchestre parce que je voyais que l’ambiance n’était pas cool. Je me suis alors orienté vers l’étude des percussions de l’Afrique de l’ouest, et plus précisément du Mali. A Paris il y a une scène musicale malienne très active, et j’ai souhaité me perfectionner en allant au Mali, là-bas je jouais dans les mariages, les baptêmes. Quand je suis rentré je voulais me concentrer sur un seul instrument pour pouvoir le jouer dans toutes les situations de musique ouverte, et c’est pour cette raison que j’ai choisi la batterie. J’ai alors intégré le département jazz du conservatoire supérieur mais cette fois ci en tant que batteur.
C’est à ce moment-là que tu as commencé à monter tes premiers projets ?
Oui j’ai participé à plusieurs groupes sous différents formats, trio, quartet mais aussi des collectifs comme Supernaturel Orchestra. J’ai également composé de la musique pour spectacle vivant, notamment pour la compagnie de Joël Pommerat. Il a fallu créer un écosystème pour que tous ces projets soient diffusés, ça m’a amené à pas mal de réflexion notamment comment s’organiser en tant que collectif.
Cette passion pour la percussion prend-elle racine ton environnement familial ?
Non pas vraiment mais j’ai eu la chance de grandir dans un environnement très musical. Déjà mon grand-père jouait très bien du piano romantique, il faisait même des improvisations à la manière de Schubert, et mon père jouait de la basse. Moi j’ai effectivement cet amour des percussions, de tout ce qui résonne, frotte, et qui se décale par rapport à un son. D’une façon générale, j’adore la recherche sur le son et le rythme.
J’ai eu la chance d’assister à un de tes concerts et je me demandais avec quels éléments était composé ton setup, qui apparaît à la fois simple et très riche en sonorités
Je travaille beaucoup les sons de la batterie en elle-même, quand j’arrive sur un plateau c’est toujours des batteries de loc, je ne suis jamais sur la mienne, donc je dois d’abord la régler, me l’approprier, et après je place des éléments sur les peaux, pour transformer le son. Je travaille déjà en acoustique la transformation du son, et après je rajoute mon setup. Le but initial était d’avoir quelque chose d’organique, joué à la main, sans ordinateur et sans boucle. Mon setup est composé de petits micros piézos qui sont disposés à côté des éléments de la batterie. Ils rentrent tous dans ma console et sont traités avec un délai, un filtre et une réverbe, et c’est le rebond du coup que je donne qui génère ce rythme qui avance et qui transforme le son de la batterie. En fait quand je lève les mains il n’y a plus de son. Pour les sons mélodiques j’utilise un Syncussion, c’est un générateur de sons analogiques des années 70 dédié aux percussions que j’avais acheté complètement par hasard dans une brocante. Ce setup est assez simple mais j’ai mis pas mal de temps à le mettre en place car il peut être générateur de larsen.
La prise de risque apparaît comme un élément essentiel de tes concerts
En concert j’improvise tout le temps, il n’y a pas de mémoire dans mes machines, je pars dans une direction que je connais mais après je fais avec l’espace et le moment. Je déroule un set qui est improvisé, et ça m’éclate de faire comme ça. Je ne joue aucun de mes morceaux en live. C’est assez risqué effectivement et j’ai toujours un peu d’appréhension quand je monte sur scène … J’aime beaucoup la musique qui laisse le champ des possibles, mais il m’arrive d’aller voir des concerts qui sont complètement calés, je le fais aussi quelquefois avec des groupes, néanmoins le travail du live reste pour moi lié à une performance, à un partage, et souvent quand je m’ennuie à un concert, tout style confondu, c’est quand il n’y a pas de prise de risque, qu’il n’y a pas d’enjeu.
Tu ne pourrais pas donner un concert derrière un labtop ?
Non ça je ne sais pas faire, c’est pas mon truc. Je suis sur une scène qui se développe beaucoup depuis 10 ans, et qui défend vraiment le jeu, le geste, et un mec derrière un labtop faut vraiment que ça soit quelque chose d’incroyable. On espère que notre pratique va aller dans le plus d’endroits possible, notamment dans la scène techno qui n’a pas l’habitude d’accueillir des musiciens. On bosse là-dessus parce que c’est un public très réceptif alors qu’ils sont plus habitués à danser devant un DJ.
Tes influences semblent assez diverses ?
Je suis effectivement très ouvert à toutes sortes de musique qui me font résonner, du coup je n’ai vraiment pas de barrière, même si j’ai des piliers avec le jazz, la musique africaine de l’ouest, et la musique électronique, surtout l’ambient et la minimale.
Ton dernier EP, Fluide (2022) est plus dépouillé que le précédent Joué, tu souhaitais revenir au minimalisme d’Algorithme ?
En fait Algorithme a été fait avec le producteur Joakim. Il s’est occupé de l’enregistrement, du mixage et de la réalisation. Pour Joué le processus a été complètement différent car je l’avais enregistré à la maison pendant le confinement, et le mixage avait été réalisé à Berlin. Joué n’est pas sorti en vinyle car c’est un disque qui n’est pas à l’attention des DJ. Fluide est vraiment dans la continuité de ce qu’on avait commencé avec Joakim, qui est effectivement quelqu’un qui est plus dans la transe minimale, dans la pureté du son. Ce sont vraiment des manières de fabriquer différentes, et cela amène un son différent. Le prochain disque, qui sera un album, et que je vais préparer pour une sortie à l’automne 2023 sera aussi plus ouvert et contiendra des instruments supplémentaires.
La notion de “jeu” n’est-elle pas le rouage essentiel de ton projet artistique ?
Lorsque je répète, que je monte des projets, que je fais des concerts, je suis vraiment dans une pratique d’instrumentiste, que je défends à fond. Tu sais je continue à bosser ma batterie quotidiennement, et ma vie c’est ça, c’est travailler mon instrument. J’adore aussi être en studio d’enregistrement, mais ce n’est pas du tout le même moment, la même construction. On fabrique quelque chose qui va être écouté dans un an, le rapport au temps est très différent, et le travail du son également.
Merci à Hyperactive Leslie de nous avoir accordé cet entretien.