Entretiens

Irène Drésel : Transe mystique

C’est auréolée d’une victoire aux César dans la catégorie “meilleure musique originale” que la productrice de musique électronique, Irène Drésel, nous fait le plaisir de répondre à nos questions. Artiste polymorphe à la fois plasticienne, photographe et musicienne, elle se joue des codes de l’électro et développe un univers singulier où se mêlent onirisme, rituels et transe. Après Hyper cristal et Kinky dogma, un troisième album, actuellement en cours d’écriture, devrait clore cette trilogie hypnotique.

Quand avez-vous commencé à composer de la musique électronique ?

J’ai suivi des études artistiques aux Beaux arts de Paris. A la fin de ma formation, je devais préparer une exposition et j’avais besoin d’une bande son pour terminer ce projet. J’ai essayé de la créer moi-même et j’ai pris tellement de plaisir à le faire que depuis je n’ai plus arrêté de composer de la musique. A l’époque j’écoutais déjà de la techno et James Holden est un des artistes qui m’a le plus influencée.

© Capture d’écran Youtube

Vous venez de remporter le César de la meilleure musique originale pour le film À plein temps. Comment avez-vous appréhendé cet exercice de musique à l’image ?

Le réalisateur Eric Gravel savait exactement ce qu’il voulait, il a été très clair dans ses demandes, mais ensuite il a fallu traduire ses idées en musique et c’est là que l’exercice est difficile. Quand j’ai composé cette musique, j’avais le film devant moi, et j’ai vraiment apprécié de devoir me caler aux scènes et aux jeux des acteurs.

Les vidéos qui illustrent vos compositions oscillent entre rêve et réalité. Atmosphère souvent présente dans les films de David Lynch. Etes-vous sensible au travail de ce réalisateur ?

C’est marrant que vous me parliez de lui parce que le premier concert qu’on a fait c’était en 2016 dans la salle Le Silencio qui a comme particularité d’avoir été conçue par David Lynch. Il y a des films de Lynch qui m’ont marquée oui, et je peux me retrouver dans le côté étrange de ses œuvres mais par contre pas dans ses aspects sombres.

Vous vous êtes produite récemment au Petit Palais à Paris lors d’une FIP 360. Ce concert avait comme particularité d’être en son spatialisé. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

C’était vraiment une expérience très particulière, ça m’a apporté une autre perception sonore. D’habitude il y a toujours un décalage entre ce que les spectateurs entendent et le son qui est diffusé dans mes retours et mon casque. Là, en étant placée au milieu des spectateurs, c’était moi qui avais finalement le meilleur son. A un moment du concert je me suis retournée et j’ai vu qu’il y avait plein de monde derrière moi, c’était inhabituel et très impressionnant. C’est un projet qui a été très lourd à mettre en place. Un des problèmes techniques que l’on a dû résoudre était lié à l’environnement en lui-même, car le Petit Palais comporte beaucoup de fenêtres, et ce sont des éléments difficiles à gérer au niveau acoustique. 

Il y avait également une dimension visuelle dans ce spectacle

Effectivement, la société Blow factory s’est occupée de la création d’images digitales, et Modulopi était chargée de faire le vidéo mapping. Le tout était projeté dynamiquement sur les murs du Petit Palais en fonction de la musique qui était jouée.

À l’occasion des “Nuits de la Lecture” sur le thème de la peur organisées par le Centre national du livre, la Radio Nova vous a invitée à lire l’extrait du livre “Les Nuits Secrètes” de Guy Breton. Pourquoi ce livre ? La littérature occupe-t-elle une place particulière dans votre projet ?

Le CNL m’avait demandé de choisir un livre autour du thème de la peur, mais je me suis aperçue que je n’en avais pas dans ma bibliothèque, je me suis donc rabattue sur celui qui me semblait être le plus étrange. De façon générale, j’aime les romans qui sortent de l’ordinaire, qui ont un côté un peu décalé. Mais ce n’est pas une source d’inspiration, ça ne l’a jamais été. Je suis peut-être plus influencée par les poèmes.

Vos concerts s’apparentent à des cérémonies, vous portez des tuniques blanches, et vos machines sont cachées par des grappes de fleurs. Un moyen de vous détacher des représentations souvent plus austères des artistes électro ?

Quand les gens viennent voir un de mes live, je veux qu’ils aient l’impression d’être à un véritable spectacle, qu’ils aient quelque chose de visuellement beau à voir, pas juste quelqu’un derrière un laptop. C’est aussi très important qu’il y ait une interaction avec le public. Il m’est arrivé de parcourir beaucoup de kilomètres pour aller voir des artistes que j’aimais et d’être frustrée car à aucun moment il n’y avait d’échanges entre eux et le public.

La religion, le mysticisme semblent occuper une part importante dans vos visuels et votre musique

J’ai fait mes études dans un collège catholique, et effectivement il en reste des traces, cela fait partie intégrante de mon éducation. Après ma confirmation, j’ai effectué une retraite dans une chapelle et cela avait été une expérience vraiment particulière. C’est une sensation que j’ai retrouvée plus tard dans d’autres circonstances qui ne sont pas liées à la religion. Comme lorsque je suis allée à une installation de l’artiste plasticienne Tania Mouraud dans le musée d’art moderne de la ville de Paris. Ca s’appelait One More Night, on devait se déchausser et entrer dans une trés grande salle d’un blanc immaculé, c’était un moment extrêmement fort et pas trés éloigné du mysticisme.

Après avoir habité Paris, vous êtes partie vivre à la campagne dans l’Eure-et-Loir. Est-ce que ce changement d’environnement a eu une incidence sur vos compositions ?

Ce qui a surtout changé c’est que je travaille plus ici, je suis beaucoup plus efficace, rien ne me parasite, contrairement à quand j’habitais Paris où j’avais trop de sollicitations. Mais ça n’a pas eu d’impact sur mes compositions. L’environnement importe peu sur mes créations, et contrairement à d’autres artistes, si je devais partir six mois en Thaïlande ça ne changerait rien à mes morceaux.

Vous avez mis en ligne une vidéo parodique où l’on “découvre” comment a été composé le titre Vestale. Le but était de désacraliser le processus de création d’un morceau ?

A la base c’est une demande du magazine Trax qui souhaitait que l’on explique comment avait été créé le titre Vestale. Mais je ne voulais pas le faire car je n’aime pas ce type de vidéo qui enlève le côté magique de la musique. On leur a donc proposé de faire quelque chose de complètement décalé mais ils ont refusé. Comme on avait quand même passé pas mal de temps dessus, et qu’on trouvait ça marrant, on a décidé de la mettre quand même en ligne.

Après la publication de Hyper Cristal en 2019 puis Kinky Dogma en 2021, un nouvel album est en préparation. Où en êtes- vous dans son écriture ?

Il y a une partie de l’album qui est terminée et qui a d’ailleurs été utilisée lors du concert au Petit Palais, mais il n’est pas fini et avec mon emploi du temps actuel ça va être compliqué d’avancer dessus … Idéalement, il faudrait qu’il sorte cette année. Je souhaite que cet album soit vraiment dans la continuité des deux précédents, pour qu’ils forment un tout, comme une sorte de trilogie.

Un grand merci à Irène Drésel de nous avoir accordé cet entretien.

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