Entretiens

Mowno : revue bruyante et passionnée

“Magazine incontournable pour ne rien manquer de l’actualité rock, electro et hip-hop. Si la musique est trop forte, c’est que vous êtes trop vieux.” C’est en ces termes teintés d’une arrogance toute rock & roll que se défini Mowno. Car de rock il est bien question ici, celui qui tache, celui qui grogne, qui n’est pas là pour plaire. Même si l’ADN de la revue et de son frère digital reste le “tatapoum” (copyright B. Lenoir), la ligne éditoriale est à l’image de l’équipage de passionnés qui compose ce navire, en perpétuelle évolution. Rencontre en Stéréo avec le capitaine Matthieu Choquet.

Comment ce projet a-t-il débuté ?

On a commencé en 1997 sous le nom de Bokson. C’était un fanzine photocopié que l’on vendait par l’intermédiaire des disquaires. Après 6 numéros, un ami qui avait monté une boîte de sites web m’a proposé de m’en développer un gratuitement. C’est à ce moment que Bokson est passé sur le web. En 2006, le site commençait à être vieux et on a décidé de réaliser une refonte totale. On en a profité pour changer le nom, c’est devenu Mowno. Au moment de fêter nos 25 ans en 2022, j’ai sorti un livre anniversaire qui compile les interviews les plus marquantes que l’on avait faites. C’était une initiative très personnelle, je voulais en quelque sorte transmettre tout ce travail à mes enfants. Ça nous a donné l’envie de rester dans le papier et c’est comme cela que l’on a décidé de sortir la revue Mowno tous les 4 mois. On tire d’abord à 500 exemplaires avec le disque, qu’on écoule à chaque fois, puis on réédite au fil de l’eau mais sans le 45t.

D’où vient le nom Mowno ?

Il n’y a pas de signification. En fait, c’est mon pote de l’agence web qui avait acheté ce nom de domaine pour un projet qui finalement n’a pas abouti. J’ai flashé dessus, avec cette connotation mono/stéréo et je trouvais qu’esthétiquement il y avait des choses à faire.

Lorsque vous avez imaginé la revue, est-ce que vous vous êtes inspirés d’autres magazines de rock ?

Pas vraiment les magazines à proprement parler, hormis Rage dans les années 90. Non, le vrai détonateur a été un fanzine qui s’appelait Kérosène. J’avais envoyé une lettre au rédacteur pour lui demander des conseils sur l’élaboration d’un fanzine, et il avait eu la gentillesse de me faire une sorte de guide complet. Je lui rends hommage à chaque fois parce que sans lui, je n’aurais jamais fait tout ça. J’adorais aussi Punk Planet qui était un fanzine américain. Ce ne sont pas des inspirations au niveau esthétique mais plus sur les lignes éditoriales.

Qui participe à la revue ? Les collaborateurs viennent de quels horizons ?

Sur la totalité du média, on n’est pas loin d’une trentaine. Il n’y a que des contributeurs bénévoles. Tout le monde participe au site et une douzaine de personnes à la revue, surtout pour effectuer les interviews. Ils viennent vraiment de tous les horizons : on a notamment des profs, des libraires, des danseurs, un urgentiste et même un volcanologue.

Comment décrirais-tu la ligne éditoriale de Mowno ?

C’est difficile à dire mais je vais dire rock, tout simplement. Moi je viens plutôt du punk, du hardcore et de l’emo donc au départ, la revue reflétait ces styles mais cela s’est estompé avec le temps. Ce que je trouve intéressant, c’est que la revue évolue en fonction des départs et des arrivées dans l’équipe parce que j’ai aussi envie que mes rédacteurs puissent défendre les musiques qu’ils aiment, et qu’ils n’aient pas forcément à s’adapter à une ligne éditoriale stricte.

Quelle est la place d’une revue qui parle de rock, dans une période où la musique urbaine est omniprésente dans les médias ?

C’est vrai que la musique urbaine cannibalise beaucoup les autres musiques et les médias influents. Mais je me positionne en tant que média résilient, j’attend que la roue tourne… Et je me dis que je ne peux pas lâcher maintenant parce qu’avec le bol que j’ai, le rock va revenir quand je vais arrêter (rires). On fait ça par plaisir, et le fait de savoir que des gens ont découvert des artistes grâce à nous, que l’on ait de très bons retours sur la revue, ça nous suffit. On n’a pas besoin de parler à des millions de personnes pour être heureux.

Quel est votre modèle économique ?

On arrive à tirer des revenus de la pub sur le site web, et des produits dérivés. La revue n’est pas un support rémunérateur, mais elle nous apporte une considération. Je suis le seul à me « rémunérer » avec Mowno mais je suis quand même dans l’obligation d’avoir une autre activité à côté. On n’est pas dépendant d’un modèle économique, et je pense que c’est un atout. 

Quel regard portes-tu sur la presse musicale actuelle ?

Je vais être franc avec toi, je ne la lis pas, soit parce que je n’ai pas le temps, soit parce que le sommaire ne me donne pas trop envie de l’acheter. Je me retrouve trop rarement pleinement dans ce qu’ils défendent, donc j’ai plus tendance à aller picorer sur des sites web américains ou anglais. 

Comment avez-vous organisé les différents contenus entre site web et revue ?

Au début, je me suis demandé comment on allait gérer le contenu du site et de la revue, car je voulais qu’aucun support ne soit délaissé. Mais la revue a créé une telle dynamique en interne, qu’on s’est retrouvé avec beaucoup d’interviews. Finalement, la revue contient celles que l’on estime les plus approfondies, et sont publiées sur le site celles qui sont plus vite « consommées », ainsi que les chroniques de disques.

Pourquoi avoir voulu ajouter un vinyle dans chaque numéro ?

C’est une vraie prise de risque, mais on éprouve le même plaisir à recevoir les cartons de revues que ceux de disques. L’idée, c’était d’aller au bout de la démarche, et aussi de se démarquer. En fait, tout part du vinyle. On s’est demandé comment on allait le protéger, et c’est ce qui a conduit à la forme qu’a la revue Mowno aujourd’hui : un vrai bouquin avec une couverture rigide. On reçoit beaucoup de mails d’artistes qui souhaitent se faire connaitre, et je trouvais cool qu’on amène la musique de ces groupes amateurs sur les platines de nos lecteurs. Ça, c’était un peu le postulat de base, que l’on n’a pas abandonné mais il se trouve que des groupes qui tournent et qui sont confirmés adhèrent au concept. Finalement, ça nous a permis de lancer la revue avec des noms reconnus comme La Jungle, Burning Heads ou Johnny Mafia, et ainsi avoir plus de visibilité. Mais, c’est sûr, le temps viendra de défendre des groupes plus amateurs.

Les titres sont créés exclusivement pour la revue?

Ce sont très majoritairement des morceaux complètement exclusifs oui, souvent des chutes de studio. Ça peut aussi être des avant-premières que l’on exploite pendant quelque mois avant que les groupes ne les diffusent.

C’est difficile d’obtenir des interviews quand on est un petit média ?

Non, je t’avoue que c’est même de plus en plus facile. Vers 2016, il y a eu un vrai tournant. Peut être que les labels ont compris que les médias web n’étaient pas la dernière roue du carrosse, et qu’on pouvait leur proposer des trucs intéressants. A partir de ce moment-là, on a réussi facilement à avoir des artistes étrangers très confirmés. Aujourd’hui, quand les labels ou les attachés de presse refusent nos demandes, c’est que la demande est beaucoup trop importante, ou que les artistes ne font pas de promo. On a rarement de refus catégoriques.  

Est-ce que tu as d’autres projets dans tes tiroirs ?

Je ne me m’interdis pas d’éditer des bouquins si jamais j’ai une bonne opportunité et les moyens de le faire. Ce n’est pas autant que je me considérerais comme éditeur, j’aime bien toucher à tout et surtout être autodidacte. Le principal, c’est de faire exister les choses, peu importe ce que l’on est. Sinon, le truc vraiment dingue, ce serait d’avoir un festival Mowno, mais c’est un métier, ça coûte une blinde, faut courir les subventions, des choses que je n’ai pas vraiment envie de faire. J’aime bien le modèle du festival Yeah : faire les choses bien, en petit comité, un événement qui reste raisonnable économiquement. Mais ça reste quand même lourd à organiser.

Si tu pouvais avoir l’artiste que tu souhaites en interview, tu choisirais lequel ?

Ça va faire le mec blasé mais je dirais aucun. En fait, mon groupe de cœur, c’est Fugazi et je les ai déjà interviewés il y a longtemps. Je ne suis plus dans l’idolâtrie des débuts, où tu vois les artistes avec des étoiles dans les yeux. Aujourd’hui, je les respecte pour leur musique bien sûr, mais aussi beaucoup pour toutes les concessions qu’ils font pour vivre de leur musique, de leur passion. Découvrir un groupe que je ne connais pas par le biais d’un album, ou pondre une interview en 10 minutes parce que l’inspiration vient tout seule, naturellement, c’est ça que j’aime. Pour moi, l’important c’est que l’interview soit portée sur la musique et sur l’humain parce qu’on aime bien aller chercher les mecs un peu plus en profondeur.

Merci à Matthieu Choquet de nous avoir accordé cet entretien.

mowno.com

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