Entretiens

Peace and Yeah!

Rencontre avec Nicolas Galina, l’un des trois passionnés de musique à l’origine de cette idée audacieuse : monter un micro festival d’indie rock en plein cœur du parc régional du Lubéron. Ici pas d’empilement de têtes d’affiches mais une programmation exigeante qui éveille la curiosité d’un public familial en quête de découvertes et de convivialité. Loin de se reposer sur des lauriers bien mérités (award du meilleur micro festival en 2017), l’équipe du Yeah! s’engage tout au long de l’année, auprès de structures locales, dans des initiatives culturelles animées par une farouche volonté de partage et de transmission.

Nicolas Galina – Laurent Garnier – Arthur Durigon

Nicolas peux-tu nous raconter comment est né le festival ?

Au départ c’est une histoire de rencontres. Avant de venir m’installer dans le sud, j’ai travaillé pendant plus de 10 ans au bar-rock le Pop In à Paris. Il y avait une petite cave qui pouvait accueillir 70 personnes, et beaucoup de jeunes groupes indé français venaient y jouer. J’étais derrière le comptoir et je m’occupais de la programmation des artistes. Un jour, Stéphane Milochevitch (plus connu sous le nom de scène de Thousand ndlr) me dit que je devrais faire la connaissance d’un de ses amis car il pensait que l’on avait pas mal de points en commun. J’ai donc fait la connaissance d’Arthur Durigon, nous nous sommes effectivement bien entendus mais ça s’est arrêté là. Un jour, je l’invite chez moi à Lourmarin pour lui parler d’un projet. J’avais envie d’organiser des petits concerts dans une cave à vin située en dessous du château de la commune. Et … coïncidence, Arthur avait fait exactement la même chose de son côté, dans l’arrière salle de la boutique de sa mère, c’était un lieu assez atypique qu’il avait appelé l’espace Doun. Il trouvait mon idée intéressante mais il ne souhaitait pas se relancer là dedans car il avait eu pas mal de problèmes avec tout le côté administratif lié à l’organisation de ce type d’événements. Je l’invite à se balader sur les terrasses du château et là on a eu le déclic au même moment : c’était juste l’endroit idéal pour faire des concerts ! L’idée du festival est née comme ça. Connaissant un peu Laurent Garnier, qui habite aussi dans le coin, j’ai proposé à Arthur de le consulter. On souhaitait lui poser une seule question : “Pour toi c’est quoi un festival réussi ?”, et il nous a répondu “C’est simple faut que la bouffe soit bonne” (rires). On lui a présenté le projet, il était hyper enthousiaste et finalement nous a rejoint dans cette aventure.

Quelle était l’idée directrice du festival à sa création ?

Notre but était tout simplement de créer un festival où on aimerait aller. Dès le début l’idée centrale c’était d’utiliser le château pour les concerts du soir mais également tout le village la journée en proposant différentes activités et des concerts gratuits. On souhaitait vraiment faire quelque chose d’assez qualitatif sur l’organisation, que les gens se sentent bien tout au long de la journée et qu’ils ne fassent pas deux heures de queue à chaque activité. La nourriture c’était aussi quelque chose d’important. On ne souhaitait pas se limiter aux frites-merguez, en proposant plusieurs stands de restauration. On travaille avec un chef étoilé tout en veillant à afficher des prix que l’on retrouve dans les  autres festivals.

Le château de Lourmarin (© Fabien Pouillault)

Le festival se déroule dans la petite commune de Lourmarin. Comment votre projet a-t-il été perçu par la population et la municipalité ?

Tout a commencé avec l’ancien maire de Lourmarin, Blaise Tiagne. Nous sommes allés lui présenter notre projet qui tenait alors sur un bout de papier et il nous a tout de suite donné son accord. Certains habitants ont été surpris, plus particulièrement des gens qui ont une résidence secondaire sur la commune. Dès la fin de la première édition, le maire est venu nous voir en nous disant qu’on avait vu trop petit et qu’il fallait doubler la capacité d’accueil l’année suivante ! Quand tu as la mairie et le château derrière toi, c’est beaucoup plus facile. Nous avons aussi la chance d’être accompagnés par le régisseur général de Laurent Garnier et d’une équipe technique restée fidèle depuis le début. C’est une des forces du festival Yeah! : avoir su fédérer des équipes techniques et des bénévoles autour du projet.

Meute au festival Yeah! 2017 (© Cauboyz)

Comment avez-vous imaginé la programmation, vous semblez l’avoir surtout axée sur la découverte ?

Oui effectivement il y a de la découverte, parce qu’on adore ça. Nous sommes tous les trois des passionnés de musique. On en écoute tout le temps, mais ce qui est également très important pour nous c’est l’enchaînement des groupes durant la soirée. Il faut tout faire pour ne pas casser la dynamique. On souhaite également surprendre les gens. On peut très bien placer un groupe pas très connu en fin de soirée si on pense qu’il va tout retourner, comme par exemple Meute en 2017. Ce qui nous intéresse c’est la performance du groupe, pas leur nom, de toute façon on ne pourrait pas se permettre financièrement de prendre des grosses têtes d’affiche. La programmation dure quand même quatre mois, c’est le nerf de la guerre, mais c’est super excitant. Quand on travaille dessus tous les trois, on se régale à échanger autour des groupes à faire venir. On ne rencontre pas trop de problèmes à attirer des artistes français, car le festival dispose d’une bonne image. On commence à se faire un nom dans le milieu, et les groupes parlent de nous autour d’eux. Cela reste plus compliqué avec les groupes étrangers car il faut passer par les tourneurs. Mais on commence aussi à tisser des liens avec eux et quelquefois ils nous conseillent même des groupes.

Quel est l’ADN du Yeah! festival ? En quoi est-il différent des autres ?
C’est que de l’amour, les gens ressentent qu’on ne se moque pas d’eux. Dès le début, on voulait montrer dans nos teasers qui on était pour leur dire :” regardez on va faire un festival à notre image et vous êtes peut-être un peu comme nous”. Pour moi, c’est ça l’ADN : une histoire de famille. Un truc qui peut paraître un peu bête mais quand le festival se termine, on se met à la porte du château et on fait la bise à tout le monde. On a l’impression de tous les connaître, on a besoin de cette proximité. Voir plus de 1000 personnes sourirent à la fin de la soirée lorsque l’on monte sur scène pour les remercier :  c’est notre récompense !

Le lancer d’éponge (© Tessier-Caune Marcel)

Il y a une composante familiale forte dans le festival, notamment avec les activités qui sont proposées en journée. C’était important de faire participer les enfants et de les ouvrir à cette culture du concert ?

Complètement, on a chacun des enfants, et pouvoir aller dans un festival avec un gamin de 5 ans ce n’est pas évident alors qu’au Yeah! c’est accessible. Ils peuvent tout faire, tu sens qu’ils adorent ça, et pour nous c’est ultra important que l’on puisse venir au Yeah! en famille. On organise un truc chaque année avec eux : comme on fait du bruit pendant 3 soirs et que l’on empêche les habitants de dormir, on autorise les enfants à nous punir pendant une demi-heure. Une année, ils ont pu balancer sur la tête des organisateurs des éponges pleines d’eau.

Vous faites partie de la centaine d’organisateurs de festivals à avoir signé une tribune “Festivals 2021, on y croit”, publiée le vendredi 27 novembre : quel en était le but ?

C’était histoire de dire “on est tous ensemble”, et montrer au gouvernement que l’on veut juste savoir ce que l’on va pouvoir faire, au lieu de tourner autour du pot. Ce qui est dommage c’est que l’on était dans une super dynamique, après 8 ans. On commençait à être très bien organisés. Des choses, qui nous paraissaient compliquées, deviennent de plus en plus simples. On a les bons interlocuteurs, ce qui change pas mal de choses, et là le contexte nous coupe l’herbe sous le pied.

Une partie de la Team Yeah! (© Cauboyz)

Si le Yeah! ne pouvait pas avoir lieu en 2021, y aurait-il un risque pour la pérennité du festival ?

Non justement parce que nous sommes une petite structure, nous ne sommes jamais allés chercher des subventions, à part celles de la région. Nous nous sommes toujours dit qu’il fallait que l’on puisse monter le festival sans cela.

Que réponds-tu à ceux qui vous reprochent votre faible capacité d’accueil : c’est un choix délibéré de conserver un projet à taille humaine ?

On restera à taille humaine de toute façon, on souhaite vraiment garder cette proximité avec les gens. Le prix des places des concerts n’est pas très cher et les activités au village sont gratuites. On essaie de trouver un équilibre financier, qui n’est pas toujours évident. Je comprends tout à fait cette frustration, et c’est vrai qu’au départ les gens râlaient car ils n’arrivaient pas à avoir de places, mais maintenant ils ont compris qu’on pouvait aussi passer un super moment juste en allant au village.

On parle de plus en plus de festivals éco-responsables, y êtes vous sensibilisés et avez-vous entrepris des actions à ce sujet ?

Oui bien sûr nous sommes sensibles à ce sujet, et à notre niveau on essaie d’être le plus éco-responsables possible. Nous sommes déjà une petite structure et on a la chance d’avoir un public très familial, qui est souvent lui-même attentif à ce sujet. Le matin quand tu vois le site avant de le nettoyer tu te rends compte qu’il y a très peu de cigarettes par terre, notamment  parce qu’on donne des cendriers de poche à l’entrée du festival. On a effectué un gros travail par rapport aux déchets. Une brigade verte a été mise en place il y a 3 ans. Les bénévoles qui la compose nettoient et trient les déchets après chaque spectacle. On a une poubelle pour le verre qui nous est réservée sur le site. Maintenant, nous sommes conscients qu’il y a beaucoup de choses à faire au niveau de la consommation d’énergie par exemple. Actuellement, on a besoin d’un groupe électrogène important pour alimenter tout le site. On peut voir plus loin aussi : comment se déplacent les groupes par exemple. Les trois-quarts viennent de France, ils se déplacent donc très souvent en voiture et c’est compliqué de leur demander de venir en train… Cette année on voulait donner des gourdes en métal à toute notre équipe pour éviter de consommer des bouteilles en plastique. L’objectif serait de supprimer le plastique pour toutes les équipes et les festivaliers. Et puis la beauté de l’endroit joue aussi beaucoup, les gens sont respectueux du site du château. Nous sommes dans une bonne dynamique, même si on peut encore trouver d’autres axes d’amélioration.

SAAS et le foyer de vie de Villelaure

Votre projet ne s’arrête pas au festival, puisqu’il comporte également une composante sociale, avec le Service Action Absurde & Solidaire. Peux-tu nous le présenter ?

On s’est rapprochés d’un foyer de vie à côté de Lourmarin, qui accueille des adultes handicapés. Leur accès à la culture étant très réduit, on a décidé d’organiser un concert là-bas avec un artiste de notre label, et pour leurs 10 ans, Laurent Garnier a mixé chez eux. De fil en aiguille, on a créé le projet SAAS. On s’est dit qu’il ne fallait pas en rester là et leur organiser une superbe fête. Pour la financer, nous avons sillonné la France à bord d’une Renault 12 décorée façon Starsky et Hutch, afin d’aller récupérer des objets de personnes connues (Laurent Garnier, Arnaud Rebotini, Moustik, …) ou pas, dans le but de les présenter dans une vente aux enchères. On devait faire venir le groupe Meute, car ils étaient en tournée à ce moment-là. Malheureusement, cette fête devait avoir lieu en mars 2020 … C’est un des gros projets que l’on va continuer à développer les prochaines années.

L’association Yeah! concentre également son énergie sur le partage des connaissances à travers des actions culturelles locales, notamment avec un conservatoire de musique.

Effectivement c’est encore une histoire de partage et de transmission. On a mis en commun nos différentes compétences et on a organisé des cycles de masterclass, qui ont duré plusieurs mois, pour les élèves du conservatoire de la ville d’Apt. Le but était de leur apprendre ce que sont la production d’un disque, le mastering, l’enregistrement, le management, …  Pour les accompagner on a fait appel à des artistes, qui avaient joué au festival ou qui font partie du label, comme French 79, Laurent Garnier ou Scan X. On a cherché à aller encore plus loin avec eux, et c’est là qu’est venue l’idée de créer un ciné-concert pour qu’ils puissent mettre en application ce qu’ils avaient appris. On a bossé pendant un an autour de la thématique des road movies, nous avons choisi puis monté des scènes de plusieurs films, et les élèves, aidés des artistes, ont composé des thèmes musicaux. Le ciné-concert, d’une durée d’une heure, a finalement été projeté dans un auditorium. Pour finaliser cette aventure, on a enregistré les élèves en studio dans les conditions du live afin de pouvoir sortir un vinyle, ce qui n’a hélas pas pu se faire à cause de la covid.

Teaser Yeah! are family 2019

Peux-tu également nous présenter le Yeah! are family, concept fusionnant musique, vin et gastronomie ?

C’est un projet que l’on a monté en 2019 en collaboration avec un de nos partenaires, la famille Perrin. Ce sont des viticulteurs, qui nous suivent depuis la première édition du festival. Chaque année, nous sortons une cuvée spéciale et on demande à un artiste de concevoir l’étiquette. En marge de leur vignoble, cette famille possède un restaurant gastronomique et un ancien monastère qu’elle a réaménagé. En découvrant ce lieu, nous avons eu l’idée d’y réunir des artistes pendant une dizaine de jours afin de créer une émulsion entre la musique, le bon vin et la gastronomie. Ce qui est intéressant c’est de voir des artistes de différents horizons musicaux partager autour de ces trois arts et créer des liens. Gaspar Claus, Nova Materia et Laake furent les premiers invités à se retrouver en résidence au Clos des Tourelles du 30 septembre au mercredi 9 octobre 2019, date de présentation de leur création inédite ‘Crashwar’. La deuxième édition devait se faire avec Emile de Forever Pavot, Lucile Antunes, et Arnaud Rebotini mais elle a dû être annulée.

Pourquoi avoir créé en 2014 le label Sounds Like Yeah! ?

Tout commence en 2014 quand Mathieu Poulain (Oh ! Tiger Mountain) m’envoie une démo de son nouveau projet, Husbands, qu’il a monté avec Kid Franscecoli et French 79. Avec Laurent et Arthur, on a trouvé la démo excellente et on a décidé de créer le label pour sortir uniquement ce maxi. Sous l’impulsion, on a commencé à sortir des disques d’autres artistes. Le but du label est de sortir des maxi à 300/700 exemplaires et de permettre à des artistes de la région d’avoir une sorte de carte de visite. Depuis deux ans, ce projet est en stand by.

Est-ce qu’il y a un artiste ou un groupe que tu rêverais de pouvoir programmer au Yeah! ?

Pas vraiment, mais ce seraient plus des coups de cœur du moment comme The Reds Pinks And Purples un groupe de San Francisco, sauf que j’ai conscience qu’Arthur et Laurent n’aimeraient pas…

Concert de La Colonie De Vacances en quadriphonie (© Eddy Duluc)

Pour terminer cet entretien, est-ce que tu aurais une anecdote à nous raconter autour du festival ?

Une année on a fait jouer La Colonie De Vacances. C’est un groupe de noise qui joue en quadriphonie, c’est-à-dire que tu as quatre scènes qui sont à distances égales et le public est placé au centre. Pour qu’ils puissent jouer on a dû éclater en quatre la scène principale, un sacré challenge pour notre équipe technique. C’est un des plus beaux moments car cela nous a demandé énormément de boulot et après le concert le groupe nous a dit qu’il n’avait jamais eu un son d’une telle qualité.

Merci à Nicolas Galina.

Pour découvrir la tonalité de la programmation du Yeah!, une playlist de 30 artistes passés au festival est en écoute ici

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