Entretiens

John Lord Fonda : Un souffle nouveau

Une longue phase de réflexion et de création aura été nécessaire à l’élaboration du troisième album de John Lord Fonda, Walk Again. Une maturation lente qui aura permis à ce perfectionniste de poursuivre l’exploration de territoires sonores débutée sur Supersonique. Même si l’on retrouve toujours les sombres dissonances et saturations maîtrisées de sa signature électronique, le protégé de Citizen Records n’hésite pas à apporter des éléments plus mélodiques à sa musique, répondant ainsi à ses nouvelles aspirations.

Comment passe t’on d’une formation classique à compositeur de musique électronique ?

J’ai toujours aimé la musique classique. J’ai effectivement appris à jouer de la flûte traversière au conservatoire, mais je trouvais cet enseignement trop scolaire et trop élitiste. C’est quand j’ai terminé le conservatoire que j’ai découvert la techno en 93. Avec des potes, on écoutait la radio lyonnaise RVL et notamment une émission qui passait des dj set joués à l’An-fer, une boîte qui était le centre névralgique de la musique électronique sur Dijon dans les années 90. Je me souviens très bien avoir entendu le titre Acperience 1 de Hardfloor, je n’avais jamais entendu une production comme celle-ci, c’est la première fois que j’entendais le son acid d’une TB303. On a passé plusieurs soirées à l’An-fer avec mes potes, et on est passé brutalement de “elle est nulle cette musique …”  à “elle est géniale cette musique !”, c’est aussi simple que ça (rires). J’ai ensuite acheté un peu de matériel et j’ai commencé à composer de la techno.

Comment s’est décidée la signature chez Citizen le label de Vitalic ?

Ce sont des gens que je connais depuis très très longtemps. Quand j’ai signé chez eux en 2003, Vitalic n’était pas encore très connu. Je l’avais rencontré à l’An-fer des années avant, et lui avais présenté certaines de mes maquettes. Ils ont un côté familial que l’on retrouve souvent dans les petits labels qui gèrent un nombre restreint d’artistes. Je reste chez eux parce que je sais très bien qu’ils m’offrent un cadre de travail que je n’aurai pas ailleurs.

Suis-tu un processus de composition bien défini ?

Non je n’ai pas vraiment de règle précise. Il y a des morceaux que je commence suite à l’achat d’un nouveau synthé. Je trouve une mélodie qui sonne bien, je place un kick,  et j’enregistre une piste de 10 minutes que je vais éditer par la suite. D’autres fois, cela va débuter par une mélodie que j’ai en tête. Je n’ai pas de processus particulier, ça peut partir, d’une nappe, d’une voix, mais rarement d’une boucle car je ne sample pas beaucoup. Il y a quelques années, je suis passé par une période où je ne trouvais pas d’inspiration.  Pascal (Vitalic) m’avait alors conseillé d’imaginer des collaborations entre différents artistes pour m’aider à trouver une couleur sonore. J’avais fait cet exercice en pensant à Green Velvet et Dave Clarke pour écrire le titre Music Is Not Computer Algebra.

Ton premier album Debaser (2005) contient une cover survitaminée de Personal Jesus de Depeche Mode. Un hommage à une de tes influences ?

Depeche Mode m’a clairement influencé, même si aujourd’hui j’écoute plus des artistes comme Board Of Canada ou Abul Mogard. A cette époque, j’avais envie de faire une cover mais je ne savais pas de quoi. J’ai pensé à ce titre parce que dans la version album il y avait une partie un peu dancefloor, et cela m’a donné l’idée de continuer cet aspect pour l’amener vers quelque chose de plus dur. Au départ elle ne devait être utilisée uniquement pour le live, mais je l’ai faite écouter à d’autres musiciens qui l’ont appréciée et m’ont conseillé de la sortir. C’était osé de s’attaquer à un titre comme celui-là. Cette cover n’a pas été simple à construire, et j’ai dû beaucoup bidouiller pour arriver au résultat final. Il n’y a pas eu de retour officiel mais j’ai appris qu’un journaliste l’avait fait écouter au groupe et visiblement Martin Gore avait bien aimé.

Quel regard portes-tu sur ce premier album ?

Je trouve que la production a vraiment mal vieilli, mais je porte toujours un regard bienveillant sur DeBaSer car il m’a beaucoup apporté. Le processus d’écriture n’a pas du tout été le même que pour le dernier album, et il n’y avait pas toutes les étapes de validation du label. Lorsqu’il est sorti, je l’avais fait écouter à DJ Kraft qui m’avait expliqué qu’il y avait un problème de production alors que personne d’autre n’avait osé me l’avouer. Cette franchise m’ a permis d’avancer dans mon processus de création. J’ai quand même mis des années à trouver ce qui n’allait pas et pouvoir écrire le deuxième album.

Il y a une nette évolution du son sur le deuxième album Supersonique (2011), notamment sur les dissonances et saturations que l’on retrouve particulièrement sur le titre Orchidée.

Je fais partie des gens qui pensent que mes meilleurs morceaux sont sur cet album. Lors de sa sortie il n’a pas eu un gros impact mais avec un peu de recul je m’aperçois que c’est  celui qui est le plus écouté et le plus apprécié. Il est beaucoup plus produit et abouti que le premier. Sur le premier album j’ai été comparé à Vitalic parce que j’avais des tics de production des années 2000, et ils n’ont pas encore complètement disparu sur Supersonique. Orchidée est le titre le plus complexe de l’album, j’en suis fier. Le seul reproche que je lui ferais maintenant c’est d’avoir gardé cette rythmique discoïde dont je voulais me défaire. D’ailleurs j’ai réalisé une version sans rythmique pour une musique de film, et je la préfère à la version de l’album.

D’où viennent les samples de voix que l’on entend sur Orchidée ?

Ce sont des samples qui proviennent de films d’archives de l’armée américaine. On y entend un militaire qui commente un essai nucléaire dans le pacifique. Je ne suis pas un artiste ultra engagé mais j’ai tendance à évoquer de plus en plus les problèmes environnementaux, notamment dans mon dernier album sur des titres comme Antarctica ou We Can’t Breathe.

On retrouve sur certains de tes morceaux des arrangements classiques : ce sont des réminiscences de ta formation classique initiale ?

Effectivement, j’aime bien intégrer des samples de musique classique. Sur le premier album, il y en a un du Prince Igor d’Alexandre Borodin, un autre de la neuvième symphonie de Bruckner, et sur le deuxième un extrait du Requiem de Verdi. C’est un petit peu facétieux de ma part, ça m’amuse. Quelquefois il y a des arrangements de cordes qui ne sont pas des samples comme sur Orchidée par exemple. J’ai une culture classique et j’en écoute mais par période.

10 années se sont écoulées entre Supersonic et Walk Again  : pourquoi avoir attendu autant de temps, le processus de création a été long pour cet album ?

Walk Again a effectivement été un album très long et compliqué à faire. J’ai travaillé 6 mois rien que sur le titre Together Again. Je suis quelqu’un de très perfectionniste et je peux très bien passer des semaines ou des mois sur un seul morceau. Entre 2017 et 2021 j’ai écrit beaucoup de morceaux qui ne sont pas sur l’album. Certains d’entre eux ont été refusés par le label ou j’ai décidé de les écarter quand ils n’étaient pas assez mélodiques. Sur cet album, j’ai voulu m’éloigner de ce côté discoïde que l’on pouvait encore retrouver parfois sur Supersonique, et revenir au son techno des années 90, comme sur Antarctica ou Les Dunes d’Altair. A l’opposé, Little Jazz est un titre qui dénote par rapport au reste de l’album, mais c’est celui  qui me représente le mieux actuellement, je me suis battu pour le mettre sur l’album car il ne correspondait pas au son habituel de Citizen.

C’est un album que je trouve plus aérien, moins sombre que le précédent

C’est vrai que je fais souvent des choses un peu sombres … mais j’ai effectué un travail sur moi-même et depuis je suis un peu plus positif. Je me sens moins attaquable et je m’accepte comme je suis. C’est peut-être aussi pour cela que je fais des choses plus légères, plus aériennes.

Gabriel Afathi pose sa voix sur le titre Together Again : le fait qu’il ait eu un parcours un peu similaire au tien (formation classique violon et piano) a provoqué cette collaboration ?

Non pas du tout. Je cherchais une voix masculine, qui soit pop sans être trop sombre. Gabriel m’a été proposé par le label. Je n’étais pas très chaud au départ car j’avais déjà placé ma voix sur le morceau et je voulais juste la retravailler. Gabriel a refait plusieurs fois les paroles, mais ça n’allait pas et le tout sonnait très EDM. J’ai dû modifier le morceau en profondeur, en utilisant d’autres sons pour que ça colle avec sa voix. Ce titre a été un vrai labyrinthe, j’aurais d’ailleurs pu l’appeler comme ça ! (rires), je suis allé dans plein de directions différentes, et finalement le résultat est vraiment top.

La fabrique – Tokyo 2010 (Crédits dat’s)

Le mixage a été effectué par Christophe Monier (The Micronauts), c’est la première fois que vous collaborez ensemble ?

Christophe, cela fait presque 15 ans que je le connais. Il est venu sur Citizen en 2007 et on s’est rencontrés après mon premier album. On s’entend bien, c’est quelqu’un de très exigeant, j’aime bien sa façon de travailler et je lui fais confiance. Il avait effectué le mixage sur 3 titres de mon deuxième album, et ça avait fait une énorme différence. Sur Walk Again il a beaucoup apporté, notamment au niveau des effets et des plans sonores.

Quel était le but de ta résidence à L’autre Canal Nancy en Octobre dernier ?

Le but de cette résidence était de préparer le live, même si pour l’instant c’est très compliqué de trouver des dates … Avant d’aller à l’Autre Canal j’ai fait tout un travail préparatoire sur les pistes. La résidence m’a permis de tester des choses, d’essayer d’intégrer des instruments acoustiques, des parties de synthé, préparer les enchaînements. Les 2 jours sont passés très vite et même si j’ai déjà avancé il va falloir que je reprenne encore pas mal de choses.

L’album Walk Again est sorti fin novembre, est-ce que tu as déjà d’autres projets en cours ?

Les différentes sorties liées à l’album vont s’étaler jusqu’en Mars, je vais continuer à bosser le live, et entre temps je vais sortir en janvier un EP sur A-Traction, qui contiendra 4 titres techno dont 1 remix. J’ai également très envie de commencer à faire des morceaux d’ambient. J’aimerais faire un album complet dans ce style. Je pense que je pourrai y apporter ma patte, même si cela sera difficile car c’est un milieu qui est très concurrentiel et très codifié, un peu comme l’électro.

Merci à John Lord Fonda de nous avoir accordé cet entretien.

https://www.citizen-records.com/artist/john-lord-fonda/

https://a-tractionrec.bandcamp.com/

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