Entretiens

Youth Valley : le cheval de Troie du rock indé

Si la musique grecque ne vous évoque que les envolés lyriques de Nana Mouskouri ou le rock psychédélique d’Aphrodite’s child c’est que vous êtes sûrement passés à coté de Youth Valley. Les 5 Athéniens avaient déjà été remarqués lors de la sortie de leur EP éponyme en 2020, mais c’est bien « Lullabies for Adults », un des meilleurs albums parus en 2023, qui leur a permis de se faire une place sur la scène musicale indépendante. Sur leur deuxième production, le groupe a enrichi les atmosphères mélancoliques de l’EP, en y apportant des sonorités inspirées du shoegaze. L’ensemble s’accorde parfaitement aux textes évoquant principalement la perte de l’innocence. Entretien avec Joseph Powell le chanteur/guitariste du groupe.

Bonjour Joseph, comment s’est formé Youth Valley ?

Youth Valley a été formé par Joseph (chant, guitares), George (un George différent de celui qui joue de la guitare aujourd’hui) et Dean (batterie). À l’époque, nous n’avions même pas de nom, mais nous avions 3 morceaux sous forme de démo. Ceux-ci ont composé plus tard notre premier EP numérique. Un des titre, Young Sad Lovers, a été en quelque sorte le morceau qui a inspiré la création du nom du groupe. Avant la sortie de l’EP le premier George est parti, puis est arrivé l’autre, qui s’est avéré être également un ami très proche et un excellent musicien. Après que la pandémie a commencé à faiblir, nous avons réalisé que nous devions commencer à réfléchir à une formation capable de communiquer nos morceaux sur scène de la meilleure façon possible. Nous avons donc demandé à Aki Rei, un excellent multi-instrumentiste et producteur, s’il souhaitait nous rejoindre. Il a accepté et nous avons ensuite eu quelques musiciens formidables qui ont pris le rôle de bassiste.

Qu’écoutiez-vous quand vous étiez enfant/adolescent, quelles sont vos principales influences musicales ?

Nous écoutions beaucoup de choses et avons traversé des phases, comme la plupart des enfants/adolescents. Beaucoup de métal, de rock progressif et plus tard de grunge et d’indie. Surtout de la musique assez riche en composition et en paroles à laquelle nous pouvions nous identifier. Au fur et à mesure que nous grandissions, nous avons continué à élargir nos connaissances musicales en écoutant beaucoup de choses nouvelles et plus anciennes. Nous le faisons toujours.

Votre musique puise aussi ses influences en dehors de la musique ?

Bien sûr que oui. Elle puise dans toutes les formes d’art. Cela tient surtout au fait que l’art est la façon dont nous choisissons d’exprimer nos émotions.

Votre premier album « Lullabies for adults » est sorti en 2023 : dans quel état d’esprit étiez-vous lorsque vous l’avez enregistré ?

Il y avait un sentiment de soulagement pendant cette période, car nous avions enfin réuni l’argent pour enregistrer/produire cet album comme nous le voulions. Il y avait aussi un peu de stress, car la voiture de Joseph avait été volée et nous devions faire de nombreux trajets pour les séances de chant. Cependant, tout cela faisait partie d’un voyage assez intéressant.

Comment vous organisez-vous pour composer vos chansons ?

On jette des idées sur la table et on les assemble avec des guitares. Parfois, si un individu a une idée, il apporte une démo de chez lui avec quelques suggestions d’orchestration et nous travaillons dessus ensemble à partir de là. Les paroles viennent généralement à la fin.

Existet-il une scène indie pop à Athènes ?

Oui, il y en a une. Cependant, de nombreux artistes en Grèce qui sont localement semi-populaires, semblent avoir pour priorité d’être imbus d’eux-mêmes et de vivre un style de vie de rock star, plutôt que d’évoluer musicalement au-delà de leur médiocrité. Et le public est en quelque sorte dans le même état d’esprit, ce qui est parfois décevant, donc je ne sais pas trop ce que nous pourrions recommander, à part Serafim Tsotsonis et son groupe, Ocean Hope, qui sont les premiers qui viennent toujours à l’esprit lorsque l’on pense à l’art pur et à la musique sans prétention en Grèce, il y en a quelques autres que nous aimons écouter ces jours-ci et probablement beaucoup plus d’artistes incroyables qui ont réussi à publier leur travail. Il y a aussi un disque très cool récemment sorti par Amalia & The Architects, nous pensons que vous devriez absolument l’écouter.

En 2022 vous avez joué une reprise de Pictures of you de The Cure au Six dogs club. Pourquoi avez-vous choisi cette chanson en particulier ?

Eh bien, Pictures Of You est certainement l’un des morceaux les plus sentimental et mélancolique que nous ayons entendus. C’est lent, mais d’une manière ou d’une autre, vous pouvez danser dessus et vous y perdre. Il parle de la perte, du moins selon notre interprétation, et de ce ce que l’on ressent lorsqu’on vit avec. À l’époque, nous composions « Lullabies For Adults », qui parle aussi, d’une certaine manière, de la perte et du souvenir de l’enfance. Donc, thématiquement et aussi musicalement, cette chanson s’est mise en place, presque par instinct, avec notre humeur du moment et la façon dont nous interprétions notre musique à ce moment-là.

Allez-vous continuer à défendre votre album sur scène ? en France ?

Nous jouons « Lullabies for adults » en live depuis un moment maintenant. Nous avons terminé cette tournée avec un concert dans un cinéma, inspiré par le concept de l’album. Notre prochaine étape est d’enregistrer quelque chose de nouveau, le travail en studio nous a vraiment manqué, c’est quelque chose qui nous inspire beaucoup et nous donne beaucoup d’énergie. Nous serions ravis de faire une tournée en France. Nous espérons que notre budget le permettra.

Le 7 juin, vous avez effectivement joué l’intégralité de l’album au cinéma Danaos, pour une soirée unique qui alliait musique et narration visuelle. Comment est né ce projet ?

Cette « performance cinématographique en direct », comme nous l’appelions, était une expérience que nous envisagions de réaliser depuis environ un an. Nous n’étions pas sûrs qu’il était même possible de faire quelque chose comme ça en Grèce et soudain, nous avons entendu dire que le cinéma Danaos cherchait à élargir son exposition artistique en plus de la projection de films. Nous n’allions pas laisser passer cette chance. Cela a nécessité beaucoup de travail, de pratique et de coordination car nous avons produit ce spectacle nous-mêmes avec quelques amis artistes, mais cela en valait la peine. À ce stade, il convient de mentionner le nom de Stelios Zoidis, notre directeur artistique, et des artistes visuels qui ont travaillé pendant une longue période, et réalisé un travail incroyable. De plus, Poppy Mani a fait une œuvre d’art incroyable et rêveuse pour l’affiche et Kat Angelakopoulou a créé une belle chorégraphie, car c’était plus que de la musique et de la vidéo, il y avait aussi de l’interaction entre des acteurs avec le public et nous-mêmes. Nous publierons bientôt une vidéo d’une minute pour vous donner un avant-goût de ce qui s’est passé, puisque nous prévoyons de le faire à nouveau dans la saison prochaine, même à l’étranger, espérons le. Ce qui est amusant, c’est qu’on a fini par jouer toutes les chansons qu’on a faites et même quelques nouvelles chansons, donc on a fait bien plus que l’album « Lullabies for adults ». C’était génial, les commentaires que nous avons reçus étaient extrêmement positifs et nous voulons vraiment que cela se reproduise.

Concert au cinema Danaos (Photo: marizacaps)

Quelle place occupe l’image dans le projet Youth Valley ?

La place de l’image dans notre musique est très importante car la vision est peut-être le sens le plus important à l’époque que nous vivons, pour le meilleur ou pour le pire. En dehors de cela, nous sommes toujours prêts à créer des synergies artistiques, c’est-à-dire à collaborer avec des artistes de différents domaines et à les expérimenter. Nous voulons voir comment notre musique réagit avec d’autres arts, cela semble toujours être une opportunité d’évoluer, à la fois en tant que personne et en tant qu’artiste et de s’immerger de plus en plus dans ce que nous faisons. De plus, nous aimons les films et les histoires.

Pourquoi avoir choisi comme titre de votre album « Lullabies for adults », est-ce lié à la difficulté de conserver une âme d’enfant ?

Oui, cela a beaucoup à voir avec cela et, comme nous l’avons mentionné dans une question précédente, aussi le fait de vivre avec cette « perte » de l’innocence de l’enfance. C’est probablement notre perte la plus personnelle, celle que nous devons surmonter lorsque nous vivons notre enfance derrière nous et que nous passons à un monde d’adultes. Tu l’as très bien dit: « gardez son âme d’enfant » parce que l’âme d’un enfant ne porte pas seulement le bonheur et l’honnêteté, elle porte aussi le traumatisme et la vulnérabilité, mais nous sommes appelés à devenir d’une manière ou d’une autre des adultes invincibles qui font face à des comportements merdiques, à la survie, à l’agression, aux fausses nouvelles, aux vraies nouvelles, à la brutalité et aux responsabilités sans fin. Chaque jour pour le reste de notre vie. Et cet enfant ne peut pas être oublié, tué ou laissé derrière, en réalité nous le portons toujours avec nous car il fait aussi partie de notre moi adulte. Peut-être que c’est un trou noir dans lequel nous plongeons en essayant de l’expliquer, cela correspond à la façon dont nous nous sentons lorsque nous sommes placés pour x raisons – que ce soit le travail, la thérapie de groupe, une activité ou quoi que ce soit – dans un groupe de parfaits inconnus. On a l’impression que… c’est le premier jour à l’école ! C’est un exemple plutôt « simple», mais je pense que tout le monde l’a vécu. Notre moi d’enfant est toujours en nous, et d’une certaine manière, nous finissons par être nos parents, du moins c’est ce qu’il semble. C’est ce que nous recherchons dans Lullabies for adults, nous faisons des allers-retours de l’enfance à la puberté et à l’âge adulte, en essayant de survivre et de comprendre notre place dans un monde foutu.

Pour terminer cet entretien, peux tu nous dire si vous avez commencé à écrire des chansons de votre prochain album ou EP ?

Oui nous travaillons sur plusieurs titres. Nous ne savons pas encore s’ils sortiront sous forme d’EP ou d’album complet et nous n’avons pas encore de date de sortie. Mais nous pourrons vous donner bientôt plus d’informations.

Un grand merci à Joseph d’avoir répondu à nos questions

Liens

https://youthvalley.bandcamp.com/

https://www.instagram.com/youthvalleyband/

https://youtube.com/@youthvalleyband

Meeting with Joseph Powell, the singer/guitarist of the Athenian band Youth Valley. After a remarkable first eponymous EP released in 2020. It was their first album Lullabies for Adults, one of the best released in 2023, that allowed them to make a place for themselves on the independent music scene. On this album, the band has been able to evolve their melancholic atmospheres inspired by the 80s by adding shoegaze sounds, thus bringing an additional tension to their tracks.

How was Youth Valley formed ?

Youth Valley was formed by Joseph (vocals, guitars) George – another George that is from the one that plays guitar today – guitars) and Dean (drums). Back then we didn’t even have a name but we had 3 tracks in demo form. The ones that later came to be our first digital EP. Young Sad Lovers, in a sense, was the track that inspired the band’s name creation. Before the release of the EP(2020), the first George left, and then came the other one, who also happened to be a very close friend and an excellent musician. Then, after the pandemic started to weaken, we realized that we would have to start considering a lineup that could communicate our tracks on stage in the best possible way. So we asked Aki Rei, an excellent multi instrumentalist & producer if he was interested in joining. He accepted and then we had a couple of great people taking the role of the bass player. 

What did you listen to when you were child/teenagers, what are your main musical influences?

We were listening to a lot of stuff and going through phases, as most children/ teenagers do. A lot of metal, prog rock and later grunge & indie. Mostly music quite rich in both composition and lyrics we could relate to. As we were growing, we kept expanding our music knowledge by listening to a lot of new and older stuff. We still do it. Music is endless and that is such a hype.

Your music also draws on influences outside of music such as literature, cinema, etc …?

Of course it does. It does draw from every form of art. It mostly has to do with the fact that art is how we choose to express our emotions.

Your first album « Lullabies for adults » was released in 2023, what state of mind were you in when you recorded it?

There was a sense of relief during that period, because we had finally gathered the money to record / produce the way we wanted. There was also a bit of stress, since Joseph’s car was stolen and we had to drive him back & forth for vocal sessions. However, it was all part of quite an interesting journey.

How do you organize yourself to compose songs?

We throw ideas on the table and we jam them together with guitars. Sometimes, if an individual has an idea, he brings a demo from home with a few orchestration suggestions and we work on it together from there. The lyrics usually come in the end.

Is there an Indie pop scene in Athens, if yes do you have any links with it?

Yes there is. However, many artists in Greece that are locally semi-popular, seem to have being full of themselves and living a rockstar lifestyle as a priority, as opposed to musically evolving past their mediocrity. And the audience is in sort of the same mindset which is at times disappointing , so not sure what we could recommend, besides Serafim Tsotsonis and his band, Ocean Hope, that are the first that always come to mind when thinking about pure artistry & unpretentious music in Greece there are a few more we enjoy listening to these days and probably a whole lot more of amazing artists that have made it to publish their work yet. Usually these are the real art treasures. Also there is a very cool record recently released by Amalia & The Architects we think you should definitely give it a listen. 

You played a cover of Pictures of you of The Cure in 2022 at the Six dogs club. Why did you choose this particular song?

Well, Pictures Of You by the Cure is certainly one of the most sentimental and eye watering tracks we’ve heard. It is slow, yet somehow you can dance and get lost to it. It speaks about loss, at least to our interpretation. Loss and how it feels to live with it. Back then we were composing Lullabies For Adults, which also, in a way, speaks about the loss and reminiscing of childhood. So thematically and as a vibe, this song fell, almost by instinct,  into place with both our mood and the setlist  & way we were performing our music at the time. While jamming on it, we realized that it felt really interesting whenever we played it even slower and with more “watery” guitars. It sounded more like cocteau twins than the cure, another band we love and respect and we really really started enjoying playing it, got lost in it in a very redeeming way. Thus, we decided we should present it and see how more people react to it. Really happy that we managed to record it. It was such a nice moment.

Are you going to continue to promote your album on stage? in France?

We have been playing “Lullabies” live for a while now. We finished this season with a very satisfactory concert at a cinema, inspired by the album’s concept. Our next move is to record something new, we really missed working within the studio which is something that inspires us a lot and gives us a lot of energy. We would be delighted to tour France. We hope our budget allows it.

On june 7th, you played the entire album Lullabies for adults in the cinema of Danaos, for a unique evening that combined music and visual narration. How did this project come about ? In general, what is the place of the image in the Youth Valley project?

This ‘cinematic live show performance’ as we called it, was an experiment we were thinking about bringing to life for about a year. We weren’t sure if it was even possible to do something like that in Greece and suddenly we heard that the particular movie theater – Danaos was looking to expand its artistic exhibit with more than just movies. We wouldn’t let this chance pass by. It required a serious amount of hard work, practice and co-ordinating as we produced this show ourselves with a couple of artists-friends but it was worth it. At this point it is worth mentioning the name of Stelios Zoidis, our art director, visual artists who worked for a ridiculously long time, documenting us, and directing and composing the videos for this show and did an amazing job. Also, Poppy Mani did an amazing dreamy artwork for the poster and Kat Angelakopoulou created a beautiful choreography, since it was more than music and video, there was also interaction of certain actors with the audience and ourselves. We will soon release a 1 minute video to give you a taste of what happened, since we plan to do this again in the next season, hopefully even abroad? Fun fact is that we ended up playing every song we have ever done and even a couple new tracks, so we did a whole lot more than just the “Lullabies” album. It felt great the feedback we received was extremely positive and we definitely want to make this happen again.

What place does the image have in the Youth Valley project?

The place of image in our music is quite important since vision may be the most important sense in the era we are living, for better or for worse. Apart from that, we are always up for artistic synergy, meaning the collaboration with artists from different fields and the experimenting of it. We want to see how our music reacts with other arts, it seems to always be an opportunity to evolve, both as a person and an artist and get more and more immersed in what we are doing. Also, we love movies and stories. 

Why did you choose the title Lullabies for adults, is it linked to the fact to try to keep our child’s soul ?

Yes, it has a lot to do with that and as we mentioned in a previous question, also the fact of living with this “loss” of childhood innocence. It is most probably our most personal loss, the one we have to get through when living our childhood behind and move on into an adult world. You put it very well when you say “keep the child’s soul” because the soul of a child does not only bear happiness and honesty, it also bears trauma and vulnerability, yet we are called to somehow become invincible adults that deal with shitty behaviors, survival, aggression, fake news, real news, brutality and responsibilities with no end, every single day for the rest of our lives. And this child cannot be forgotten, killed or left behind, in reality we are always carrying it along as it is also a part of our adult self. Maybe that’s a black hole we are diving into by trying to explain it, but the easiest way to explain it is the way we feel when we are put for x reasons – might be work, group therapy, activity or anything –  in a group of total strangers. It feels like…the first day at school doesn’t it? That is a rather “light” example, but I think you are getting the notion. Our child self is always within us and in a way we end up being parents of ourselves at least so it seems. That’s what we are looking for in Lullabies and through it we are traveling back and forth from childhood to puberty and adulthood, trying to survive and understand our place in a fucked up world.

To conclude this interview, can you tell us if you have started writing songs for your next album or EP?

We have been working on several tracks. We don’t know yet if they will be released in the form of an EP or full Album and we definitely don’t have a release date. But we will soon have more info.

Thanks a lot to Joseph for answering our questions

Links

https://youthvalley.bandcamp.com/

https://www.instagram.com/youthvalleyband/

https://youtube.com/@youthvalleyband

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