Entretiens

Gilles de Kerdrel

Recueillir et partager les récits de moments, d’histoires, de sentiments liés à une pochette de disque. Voici en quelques mots résumée l’ambition du site ecoutonsnospochettes.com. S’il fallait encore s’en convaincre, ces chroniques nous montrent, avec talent et sincérité, l’importance que prennent ces microsillons dans nos vies. Ce concept protéiforme, riche d’une centaine de textes, se décline également en lectures publiques et podcasts. Pour jaimebeaucoupcequevousfaites Gilles de Kerdrel nous en dit un peu plus sur la genèse et le développement de son projet.

Pourrais-tu te présenter ?

Je suis concepteur/rédacteur de métier, j’ai longtemps travaillé en agence. La pub m’a permis de graviter autour de la musique, du cinéma, de la littérature, etc. J’ai pu approfondir tout ça. Je crois même que c’est la raison pour laquelle j’ai choisi ce métier… J’ai fini par quitter le monde des agences à cause des pressions toxiques, du manque de moyens pour faire des choses libres et créatives, comme cela a pu être le cas à une époque. Aujourd’hui, je suis devenu indépendant.

Comment cette idée t’est-elle venue ?

Un soir, il y a 4/5 ans, je réécoute le premier album des Stranglers (Rattus Norvegicus) et des tas de souvenirs me remontent en mémoire. J’ai eu envie d’écrire un texte là-dessus, que j’ai publié, sans trop réfléchir sur Facebook. Très rapidement, j’ai eu des supers réactions de la part des gens qui disaient qu’eux aussi avaient des choses à raconter sur des pochettes d’albums. Je me suis alors dit que ça pouvait être une bonne idée de faire quelque chose de participatif, et j’ai trouvé ce nom, écoutonsnospochettes. Je ne voulais surtout pas faire un truc d’exégète ou de critique-rock, mais vraiment donner la parole à ceux qui achètent de la musique et qui se sont fabriqués avec. J’ai donc créé une page Facebook, et puis ça a pris de l’ampleur, bien qu’il se soit quand même passé 2 ans entre ma chronique et la parution de 3 autres.

Es-tu collectionneur de disques vinyles ?

Oui, mais j’ai une relation bizarre avec la collection car l’accumulation pour l’accumulation m’a toujours angoissé, je ne suis pas ce qu’on appelle un compulsif, c’est quelque chose qui ne m’attire pas du tout. Par exemple, si j’ai acheté à sa sortie le pressage français d’un groupe anglais, je ne vais pas acheter le pressage anglais, allemand, ou polonais…

Quel est ton premier souvenir de pochette ?

Le 45 tours d’il était une fois dans l’ouest d’Ennio Morricone, pour ma première communion (rires). Sinon, je n’ai pas trop de souvenirs des disques de mes parents. Par contre, je me souviens bien des pochettes de Zappa, Gong ou Magma de mon frère, je les préférais aux disques eux-mêmes.

As-tu déjà acheté un disque en te basant uniquement sur sa pochette ?

Oui très souvent, notamment au début. Il n’y avait pas de pré-écoute, seulement les critiques rock. Tu devais t’en remettre à tes goûts, ce qui créé pas mal de déceptions, il faut bien l’avouer ! Par contre, certains labels ont une unité graphique, comme Factory avec Peter Saville ou 4AD avec Olivier Vaughan sans parler de Blue Note… Les anglais ont une grande culture de la cohérence graphique, alors que chez nous, si tu prends New Rose, label à qui je dois tant de découvertes, aucune pochette ne se ressemble, il n’y a pas d’identité visuelle…

Chronique de l’album Dummy de Portishead

Quels sont les styles musicaux les plus représentés dans les chroniques ?

La grande majorité provient du rock anglais et américain, depuis la fin des années 60 jusqu’à la fin des années 90. Pas mal de new wave, du punk et puis bien sûr les classiques : Stooges, Stones, Beatles... Beaucoup d’auteurs font partie de la génération du début des Inrocks, des fanzines, ce n’est donc pas anodin de retrouver ces styles musicaux.

Je n’ai pas vu d’album de musique électronique

Effectivement, il n’y a pas de musique électronique, pas de reggae, de rap ou de musique récente. J’ai eu l’occasion de discuter avec un gars d’une vingtaine d’années, qui trouvait l’idée d’écoutonsnospochettes super, mais qui m’assurait que personne de sa génération n’écrirait de texte, car ils ne consomment la musique qu’en streaming. Ceci dit, comme pour le contredire, j’ai reçu il y a une semaine un texte vraiment très bien, une histoire autour d’une pochette découverte sur Youtube : Everlasting sunday du MC’s Cut head. Une histoire de pochette par quelqu’un qui ne s’y intéresse pas ! Elle sera bientôt en ligne, d’ailleurs.

Justement, vu l’évolution du type de consommation de la musique, penses-tu que ce type de projet existera encore dans 20 ans ?

Oui, s’ils font des Ehpad’rock (rires). C’est vrai que ce projet s’adresse plutôt à des personnes qui ont la quarantaine. Mais pourquoi pas, tant que ça ne devient pas “la chance aux chansons“. Ce dont je suis sûr, c’est que tant qu’il y aura la possibilité d’acheter des disques, les gens auront envie d’écrire dessus.

T’attendais-tu à ce que les auteurs se livrent avec autant de sincérité ?

Non pas du tout. Mais j’ai peut-être un début d’explication à ce sujet. Bizarrement, j’ai mis un peu de temps à me rendre compte que neuf textes sur dix parlaient de l’adolescence. Pas mal de gens me disent avoir pris un plaisir fou de voir remonter à la surface certains sujets restés cachés quelque part, des choses non résolues : c’est ce qui fait la sincérité des textes. Je ne pense pas que quelqu’un ait triché dans une chronique. Par contre, je propose toujours aux auteurs de signer sous un pseudo, car même après 20 ou 30 ans, des trucs demeurent « inavouables »

Ecoutonsnospochettes met en exergue l’importance que peut prendre la musique dans notre vie

Exactement, c’est incroyable et je ne pensais pas que ça pouvait être aussi vrai. Les premiers textes étaient plutôt goguenards, bravaches, mais petit à petit le “sillon s’est creusé”, une tonalité écoutonsnospochettes s’est mise en place. En fait, ce sont les contributeurs eux-mêmes qui ont donné sa tonalité au projet, merci à eux !

Le niveau d’écriture est assez élevé, est-ce que cela ne décourage pas certaines personnes à proposer des textes ?

C’est vrai que certaines personnes peuvent se sentir intimidées à l’idée de se retrouver à côté de certains textes. Mais ce projet est vraiment ouvert à tout le monde, la parole n’est pas réservée aux détenteurs du savoir et de la culture. Beaucoup de personnes ont ce besoin d’expression qu’est l’écrit. Il suffit de voir le succès des ateliers d’écriture.

As-tu déjà refusé un texte ?

Oui. Mais pas du tout à cause d’une pochette ou d’un groupe que je n’aime pas. Quand ça arrive (c’est très rare, quand même), c’est que je trouve la tonalité et le style tout simplement pas intéressants, que ça ne correspond pas à ce que j’ai envie de lire. Donc, par respect pour les textes parus, ceux-là restent dans les tiroirs…

Pourrais-tu citer deux ou trois pochettes que tu apprécies particulièrement ?

Il y en a tellement, que je ne t’en donne que deux, sans réfléchir (rires): London Calling des Clash, et le premier Patti Smith avec la photo de Mapplethorpe

Comment Dominique A et JD Beauvallet ont-ils eu écho de ton projet ?

Par l’intermédiaire d’un ami qui a travaillé avec eux. Il a lui-même écrit une chronique et m’a proposé de demander à JD Beauvallet et Dominique A de se prêter au jeu. Ça m’a fait super plaisir, au-delà de la visibilité que ça a donné au projet.

Enregistrement d’un podcast au studio Chez Jean

Il existe plusieurs dimensions dans ce projet, les textes tout d’abord, mais également les podcasts. Pourquoi avoir voulu une trace orale de ces chroniques ?

En fait, écoutonsnospochettes est ce qu’on appelle un projet à tiroirs, c’est une idée protéiforme. Avant les podcasts, il y avait (et il y a toujours) les lectures publiques. Il m’a paru assez naturel de vouloir ajouter du son à ces chroniques. Les podcasts sont enregistrés au studio Chez Jean et réalisés par Olivier Le Solliec. C’est quelqu’un de très axé sur l’illustration et les ponctuations sonores. On s’est rendu compte que beaucoup de textes comportaient une richesse sonore en eux et on ne voulait surtout pas se contenter d’avoir le texte et le disque en fond sonore. C’est un exercice créatif supplémentaire qui donne une autre dimension au projet et apporte une immersion totale dans le texte.

Tous les auteurs acceptent-ils de lire leur texte ?

Non, pour plein de bonnes et de mauvaises raisons. Certains n’osent pas du tout, d’autres ont envie d’entendre leur texte au travers d’une voix autre que la leur. Et puis l’exercice n’est pas si facile. Les gens qui lisent sont des amis comédiens et comédiennes, ou qui sont à l’aise devant un public. Par contre, j’essaie de convaincre les auteurs de venir enregistrer eux-mêmes leur podcast. En studio, l’atmosphère est plus intime, on peut bafouiller son texte et recommencer tant qu’il faut…

La parole n’amène-t-elle pas une intimité supplémentaire ?

Effectivement, comme on le disait tout à l’heure, la plupart des textes touche à l’intime, ça crée parfois une tension, même pour les gens qui interprètent un texte. Ils sont obligés de répéter avant, car ils peuvent eux-mêmes être pris par l’émotion du récit, c’est déjà arrivé… Mais rassure-toi, les textes provoquent aussi du rire !

Le site web ecoutonsnospochettes.com est en cours de finition, quand sera-t-il en ligne et as-tu d’autres projets ?

Il est déjà en ligne même s’il reste encore un peu de travail, notamment toutes les chroniques à mettre en ligne. Mais ça se fera petit à petit. Pour les projets, les lectures publiques reprendront dès que possible, normalement les 23, 24 et 25 février prochain au festival Hibernarock, et bien sûr au Walrus à Paris, qui accueille les lectures depuis le début. De nouveaux podcasts sont en cours, et, même si c’est encore vague, je réfléchis à un livre ecoutonsnospochettes. Mais l’idée de devoir sélectionner un nombre restreint de textes m’angoisse déjà…

Webographie

Les chroniques et les podcasts sont en ligne ici

Pour s’abonner à la page Facebook c’est ici

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2 Comments

  • Jérôme de Grasse

    Passionant! Sensible et intelligent! je n’avais pas envisagé sous cet angle l’impact de la musique, via la “pochette”, sur nos vies. Mais c’est tellement vrai; “humain, trop humain”… Merci pour ce partage, cher Jbcqvf.

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