Live report

Festival Yeah ! 2022

35° à l’ombre, les semelles de mes tongues collent au bitume, même les cigales commencent à montrer des signes de fatigue … Épuisé, je m’arrête dans un café pour me réhydrater avec un Pac à l’eau et demander ma route. Sans piper mot, un autochtone portant un t-shirt “Albert Camus’s not dead” désigne un étendard flottant fièrement au-dessus de la tourelle d’un château. Le doute n’est plus permis, je suis bien arrivé au Festival Yeah !

Jour 1

Les hostilités débutent donc avec le violoncelliste Gaspar Claus. L’artiste, qui enchaîne les collaborations (Rone, Flavien Berger ou encore Serge Teyssot-Gay) s’entoure ici de Basile3 et de ses machines. Bousculant les codes, il associe ses parties de violoncelle aux nappes électroniques du producteur, et nous invite à une escapade entre rêve et réalité, sonorités organiques et synthétiques.

Arthur Satan (crédits jbcqvf)

Je me dirige vers la scène du château quand un type me tape sur l’épaule : “c’est JC Satan ?”
“non c’est Arthur Satan”
“Ah, c’est quoi la différence ?”
“Ben tu remplaces la rage et les solos qui tâchent par de la finesse et des arrangements 60’s sous influence Beatles et Kinks.”
Le type passe son chemin, préférant se diriger vers le truck de crêpes bretonnes … C’est bien dommage car il n’a pas pu découvrir la face angélique de l’artiste de Born Bad Records. Apparemment ravi de jouer dans ce cadre splendide, Arthur prend le risque de se mettre à nu et entre deux longs solos psychédéliques dignes du Crazy Horse de Neil Young, ose même un titre seul avec sa guitare, tout en élégance.

Gustaf (crédits jbcqvf)

La soirée se poursuit avec les New-yorkaises de Gustaf. Les petites protégées de Beck se sont bâties une solide réputation en assurant notamment la première partie d’IDLES, et elles n’ont pas déçu. Une chanteuse charismatique et grimaçante, des musiciennes complices et un post-punk-funck aussi chaotique qu’irrésistible. LA bonne surprise de la journée.

MadMadMad (crédits Cauboyz)

On enchaîne avec Tonn3rr3 (non ils ne sont pas de Brest), un trio électro / tribale qui fusionne rythme nigérian et sonorité house, puis Madmadmad. Ces petits chimistes du son ont trouvé la bonne formule : une pincée de disco, un zeste de kautrock et une cuillère de New York noise. On mélange le tout et on obtient un puissant groove à vous décoller la plèvre. Comme le disait l’agent de sécurité à qui je présentais mon bracelet : “on dirait les chemical brothers qui seraient tombés dans une marmite de potion funck !”, pas faux.

Jour 2

Peut-on jouer une musique minimale et dansante sans ordinateur ni séquences pré-enregistrées ? Antonin Leymarie nous prouve que oui avec Hyperactive Leslie, son nouveau projet mutant à mi-chemin entre musique électronique et percussion organique. Le musicien anime son dispositif sonore tel un marionnettiste le ferait avec ses pantins.  Le résultat est à la fois complexe, spontané et hypnotique.

Los Bitchos (crédits jbcqvf)

Let the Festivities Begin ! On attendait à ce que le titre de l’album des Los Bitchos soit prémonitoire, ce fût le cas. Nick, Augustina, Serra et Joséphine ont apporté un vent d’exotisme sur le festival Yeah ! Essentiellement instrumentaux, les morceaux produits par Alex Krapanos (le chanteur de Frantz Ferdinand), sont nourris de garage, surf music et cumbia. Et alors que mon voisin de barrière me demandait quelle était donc ce mystérieux breuvage que les Londoniennes dégustaient entre chaque pause, un cri annonça le titre du prochain morceau : “Tequila !!!!”, il avait sa réponse.

Crack Cloud (crédits jbcqvf)

Je profite de la longue préparation de Crack Cloud pour me restaurer quelque peu : une assiette de charcuterie, une brouillade aux truffes (oui on sait recevoir au Yeah !), un rougail saucisse et une crêpe sucre/citron pour terminer en douceur. Les canadiens commencent enfin leur concert, il sera nerveux et chaotique. Les influences de leur musique sont multiples :  post punk, no wave new yorkaise et hiphop, et rappellent autant Talking Heads que Devo. L’atmosphère sombre qu’ils dégagent est à l’image de l’histoire tourmentée des membres du collectif, et derrière les textes scandés par Zach Choy on devine une souffrance et une rage non contenue.

On termine cette deuxième journée avec le moustachu de l’étape, Dombrance. Avec son projet électro-politique, il a transformé la fosse de la scène du château en piste de club, et passé en revue le paysage politique français, de Pompidou à Poutou, de Fillon à Macron. L’assemblée présente ne s’est pas abstenue de danser sur ces titres taillés pour le dancefloor.

Jour 3

Ding Dong ! (crédit jbcqvf)

– Ding Dong !
– Oui c’est qui ?
– C’est Ding Dong, et “nous venons vous jouer des morceaux pour vous faire sortir de votre sentiment de solitude”
– Ok ben rentrez alors”
Cosmic Neman échappé de Zombie Zombie et Quéméré (collectif Sin) usent de boucles synthétiques, voix pitchées et autres effets psychédéliques pour nous amener dans un état de transe. On se laisse facilement porter par cette musique planante, qui nous fait redécouvrir une totale liberté de pensée cosmique vers un nouvel âge réminiscent.

La Jungle (Crédits Cauboyz)

L’installation de la scène en plein milieu du public aurait dû nous mettre le bouchon à l’oreille … ce programme s’adresse à des tympans avertis ! Le duo kraut / noise belge La jungle remporte haut la main la palme de la grosse claque de cette édition du Yeah ! Leur jungle est inhospitalière, violente et paradoxalement, terriblement magnétique. Combo minimum, rage maximale, ceux qui s’attendaient à Hakuna Matata en sont pour leurs frais. La jungle est en folie car le lion est mort ce soir, à grands coups de boucles noisy, d’onomatopées rageuses, de rythmes destructeurs. La communion est totale et des corps s’élancent au-dessus d’une foule frénétique.

Lucie Antunes (Crédits jbcqvf)

Difficile de sortir de sa torpeur après ce déluge sonore, mais Lucie Antunes, aidée de Jean-Sylvain Le Gouic (Juveniles) et de Franck Berthoux, met toute son énergie et sa technique à nous transporter dans son univers onirique, mêlant xylophone, synthétiseurs et percussions. Elle nous prouve que la musique minimale peut être un vecteur de puissance et de poésie quand elle est jouée avec brio.

Contrairement à la plupart des festivals Français, le Yeah ne se contente pas d’empiler les artistes que l’on croise (trop) souvent pendant la période estivale, et propose une programmation exigeante et curieuse. Mais l’ADN du Yeah ! ne se trouve pas là : l’accueil, la gentillesse des bénévoles, le sourire sur le visage des festivaliers, et l’ambiance familiale sont les éléments qui le rendent si unique. L’année prochaine le festival Yeah ! fêtera ses 10 ans, gageons qu’il tiendra une fois de plus ses promesses et qu’il sera Yeahment (sic) génial.

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