Entretiens

Sean Bouchard du label Talitres

Depuis 20 ans, le directeur artistique du label indépendant Talitres défend la musique qu’il aime, contre vents et majors. Son catalogue s’est construit avec exigence et un savoir faire reconnu de tous. Animé d’une passion sans faille, Sean accompagne les artistes en devenir, et offre un refuge aux groupes qui ont fait rayonner l’indie pop. Dans un contexte toujours plus difficile, il peut s’enorgueillir d’avoir su donner une véritable identité sonore au label : le son Talitres.

Sean Bouchard

 Comment devient-on patron de label indépendant et pour quelles raisons ?

J’imagine qu’en fonction des personnes à qui tu poseras cette question les réponses seront très diverses. Cela fait 20 ans que j’ai créé Talitres, et lorsque je regarde le parcours des différents patrons de labels que je côtoie, de près ou de loin, je me rends compte que l’on a quand même tous des parcours assez différents. Il n’existe pas de formations spécialisées dans le domaine des maisons de disques, les origines et les provenances des directeurs de labels sont donc très diverses et très variées. Certaines personnes deviennent directeur de label en ayant gravité auparavant au sein de l’industrie musicale, et il y en a d’autres qui ont un parcours totalement atypique. C’est mon cas. Quand j’ai monté mon projet en 2000, je ne venais pas du tout de ce milieu mais de l’agronomie. J’avais travaillé pendant un an au Vietnam sur un projet fabuleux en grande autonomie. Je suis ensuite rentré en France où j’ai suivi mon épouse, qui a dû s’installer à Bordeaux, pour raison professionnelle. Là, j’occupe un poste toujours dans l’agronomie, avec de nombreux déplacements entre le Maroc et le Périgord, mais l’expérience n’a pas été géniale, et je décide de tout arrêter sur un coup de tête. Je laisse donc tomber l’agronomie sans trop savoir quoi faire, mais en ayant l’envie de monter mon propre projet, et de faire autre chose. Je me suis alors dit pourquoi ne pas essayer de défendre des groupes, notamment ceux appartenant à la scène pop/folk ouest américaine, qui étaient déjà représentés en France, mais où il y a avait encore des choses à faire. Je monte donc une maison de disques avec un pote, qui a quitté le navire assez rapidement, et je commence à contacter des groupes américains. C’est par le biais du site mp3.com (N.D.L.R précurseur de myspace) que je découvrais pas mal de groupes, qui étaient soit autoproduits, soit signés sur des maisons de disques américaines, mais pas défendus en Europe.  C’était encore l’époque où internet n’était pas aussi prédominant, il pouvait servir à faire découvrir des groupes et écouter de la musique, mais il n’y avait pas de distribution numérique, pas de plateformes de streaming. Les artistes avaient donc besoin d’avoir une représentation sur l’Europe à travers des personnes physiquement présentes. C’est comme cela que j’ai contacté le premier groupe du catalogue, le trio New Yorkais Elk City. Ils avaient une maison de disques, Parasol, qui était exclusivement implantée sur le territoire américain. J’ai eu la chance de pouvoir les faire venir assez rapidement en France, dans le cadre d’un concert unique à Cherbourg, grâce à l’association Le Point du Jour, qui faisait de la photographie et qui avait besoin d’un groupe pour un événement anniversaire. On s’est rencontré, et ils ont réalisé que mon projet était sérieux, que j’avais un discours qui semblait assez cohérent et on a signé un deal en leur versant une avance sur disques vendus, ce qui correspondait à la garantie de ma bonne foi. Dès le début, j’ai voulu tout faire par moi-même. Il y a beaucoup de labels qui passent par des attachés de presse, moi j’avais envie de côtoyer les journalistes de la presse que je lisais. Thomas Sotinel au Monde, Bayon à Libé, je connaissais le nom des plumes, et je savais donc à qui il fallait que je m’adresse. Avec Elk City cela s’est plutôt bien passé en terme de retour promotionnel, on a eu de très chouettes papiers notamment de Bayon, ainsi que des chroniques dans Magic et les Inrocks. La promo s’est étalée sur 6 mois, cela aurait pu être plus concentré mais à l’époque je ne savais pas comment nous devions gérer la promo, en tout cas on a eu une belle visibilité. J’ai trouvé un distributeur physique en France, et également un tourneur, qui a fait venir le groupe. Le projet tenait la route financièrement même si les tournées étaient vraiment ric-rac. J’ai également trouvé des partenaires sur l’export car le marché français était relativement étriqué. Finalement, j’ai sorti ce premier groupe, ça s’est pas mal passé mais j’ai perdu de l’argent et j’ai été un peu déçu par les ventes. C’est à ce moment là que j’ai réalisé que j’avais mis les deux pieds dans une industrie un peu morose, qui débutait une crise qui allait être très profonde et très durable, et que finalement ce n’était pas parce qu’on avait de bons retours qu’on allait vendre des disques. Cette première signature m’a fait un nom auprès de la presse française, et m’a surtout apporté de la visibilité. Certains groupes américains ont interpellé Elk City pour savoir s’ils avaient un représentant chargé de leurs tournées en Europe. Le groupe s’est mis à parler du label et notamment à une formation, qui maintenant est devenue énormissime, The National, que j’ai signée par la suite.

Quel était ton rapport à la musique avant de créer Talitres ?

Mes parents écoutaient beaucoup de musique classique comme Ravel, Debussy, Satie, et ma mère était musicologue, elle donnait des cours dans le cadre de l’école Martenot. J’ai donc été baigné par la musique au sens large lorsque j’étais enfant, et je pense que cela m’a beaucoup servi d’avoir une oreille qui, dès le plus jeune âge, a été aiguisée par cette musique que j’écoute maintenant de plus en plus. J’ai également eu vers 15/16 ans une période où j’étais complètement obsessionnel de Léo Ferré, et notamment de la façon dont il reprend Baudelaire, qui me renverse complètement. Un peu plus tard, quand j’habitais à Paris au début des années 90, je passais mon temps à acheter des disques, écouter l’émission de Lenoir et assister aux Black Sessions. Je me souviens même être allé au restaurant avec mes parents et demander au cuisinier s’il pouvait enregistrer France Inter, il avait été suffisamment cool pour le faire. J’étais imbibé de toute cette culture musicale là, notamment des groupes comme Idaho, Swell, Red House Painters, Pavement, Mazzy Star ou encore Yo La Tengo. Donc finalement, ma culture musicale est à la fois liée au classique contemporain, à Léo Ferré et à cette scène folk/pop américaine.

Est-ce que certains labels indépendants ont pu te servir de modèles ?

Oui et non. Quand j’étais un grand acheteur de disques, j’achetais aussi en fonction des labels qui les éditaient. Drag City, Matador, Domino, New Rose font partie de labels mythiques pour moi. Est-ce que ce sont des exemples, je n’en sais rien, mais là où j’ai pu m’inspirer d’eux c’est dans le fait qu’ils avaient tous une ligne artistique très exigeante et cohérente, et j’ai toujours pensé qu’un label indépendant comme le mien ne pouvait tenir que s’il en était de même.

Pourquoi avoir pris comme nom de label un : “crustacé amphipode appelé communément puce de mer” ?

(rire) A l’origine, lorsqu’on a créé le label avec mon ami Xavier, on cherchait des noms un petit peu différents. On voulait un nom singulier, qui ne fasse pas penser directement à un nom de label ou très connoté musique. Il y a ce nom qui est sorti, “talitre”, on trouvait ça joli, on a rajouté le “s” parce que résidents à Bordeaux, on est proche de l’Espagne, et ça pouvait permettre de le prononcer à l’espagnole “talitresse”. Et puis l’image du talitre correspond assez bien à ce que je recherche, c’est un animal qui est à la fois fragile et résistant, qui est un peu enquiquineur, qui ne te lâche pas. Une autre chose qui est très utile de nos jours, c’est que lorsque tu tapes Talitres dans un moteur de recherche, le label apparaît en première position.

Les bureaux de Talitres

Par quel biais découvres-tu les groupes :  les concerts, le bouche-à-oreilles, les réseaux sociaux, ce sont eux qui te contactent ?

A l’origine c’était presque exclusivement des groupes que je découvrais moi-même. J’avais cette volonté de faire la démarche d’aller vers le groupe. Je passais beaucoup de temps sur les sites internet et j’écoutais beaucoup de musique. Je vérifiais au préalable s’ils avaient une maison de disques en France ou en Europe. Quand j’apprenais qu’ils avaient uniquement quelqu’un au États-Unis, je les contactais. Il y avait aussi une notion de réseau, car c’est par exemple grâce à Elk City que j’ai pu signer The National. Comme je commençais à être un petit peu connu, des labels américains ont commencé à me solliciter, notamment Secretly Canadian qui m’envoyait tous leurs disques pour des licences européennes. Je me suis alors rendu compte qu’il fallait que je trouve les groupes plus tôt, avant qu’ils ne soient signés, même uniquement pour un territoire. Le temps passé à écouter des groupes sur internet était très chronophage pour un résultat finalement médiocre. J’ai alors commencé à multiplier les déplacements dans les festivals de musiques émergentes, surtout dans des territoires qui n’étaient pas trop explorés par les majors et les grands indépendants comme la Slovénie, l’Autriche ou la Russie. Il y a aussi des groupes que j’ai découvert parce qu’ils ont fait la première partie des artistes de mon catalogue, je pense notamment à Thousand que j’avais rencontré en 2011 quand ils avaient fait la première partie de Garciaphone. Il y a aussi pas mal de journalistes qui orientent des groupes vers moi, The Apartments par exemple, c’est Emmanuel Tellier de Télérama qui m’avait fait rencontrer Peter pour essayer de le faire revenir en France. Donc c’est assez divers et varié mais là où cela a un petit peu évolué c’est qu’il est moins facile de découvrir des groupes en étant uniquement sur le web, car si je les trouve sur les réseaux sociaux ou des plateformes de streaming, c’est déjà trop tard. J’écoute entre 3 et 4 démo par jour et j’essaie de répondre à tout le monde. Le premier conseil que je donne aux musiciens, c’est d’être actif pour qu’un label les repère, et le second c’est de s’intéresser un minimum à ce que fait le label.

Tu as permis au groupe The National de lancer leur carrière en sortant leur premier album Sad Songs for Dirty Lovers, est-ce une fierté particulière ?

Oui bien sûr que c’est une fierté. Il y a différentes choses dans le cas de The National, évidemment c’est une fierté, ça reste une pierre fondatrice du label. On a eu une presse assez dithyrambique en France mais également en Angleterre avec des papiers dans Uncut, le NME, Modjo, des quotidiens, et même leur attaché de presse était surpris des résultats que l’on avait obtenu.

Quelles sont les raisons qui poussent un groupe à quitter ton label ?

Il en existe plusieurs. Pour revenir à The National clairement c’est parce que je n’avais pas la force de frappe, ni le réseau, ni l’histoire de Beggars (N.D.L.R. groupe de 5 labels indépendants comprenant 4AD, Matador, Rough Trade, XL et Young Turks). Même si ça a un côté très frustrant, ça fait aussi partie de notre rôle de faire monter des groupes pour les voir partir vers d’autres cieux. Ce qui est plus vexant c’est quand tu sors le disque de The National et qu’on te fait comprendre que tu perds les droits quelques années plus tard. La même aventure m’est arrivée avec Frànçois And The Atlas Mountains lorsqu’ils ont signé chez Domino. Je l’ai moins bien vécu parce que je ne suis pas sûr qu’en France Domino ait fait un meilleur boulot que nous, et l’orientation qu’a pris le projet me parle moins depuis quelques albums. Après, il y a bien évidemment des raisons purement financières, et il y a aussi des groupes qui partent parce qu’ils ont la lubie de signer chez une major, comme Ewert And The Two Dragons avec Warner. Et puis quelquefois, je ne me retrouve pas dans l’évolution artistique du projet, et pour être le plus intègre possible vis-à-vis des groupes je leur dis que je suis désolé mais que certaines de leurs compositions ne me touchent pas, donc ça m’est arrivé aussi de remercier des groupes.

Est-il plus difficile de manager des groupes ayant déjà une belle renommée (The Wedding Present , Swell, The Apartments) que des jeunes groupes en développement ?

C’est vrai que j’éprouve un profond respect pour ces artistes, et il peut parfois être débordant. Néanmoins, je sais aussi dire quand quelque chose ne me plaît pas. Dans le cas de The Apartments par exemple, on a collaboré avec eux en 2010, pour la réédition de l’album Drift, et puis nous sommes restés en contact de façon un peu distante. Un jour Peter m’envoie l’album No Song, No Spell, No Madrigal, et je n’ai jamais réussi à m’imprégner de l’album, il y avait un côté trop lyrique, et je me suis retrouvé à me dire : que vas-tu faire avec ce disque … Il y avait d’un côté Peter que j’admire énormément, et cet album qui me posait problème. Est-ce que je le sors quand même ou est-ce que je lui avoue que quelque chose me gêne dans ce disque. Finalement, je lui ai dit, tout en me demandant si c’était la bonne solution ou pas. Cela m’a pris des mois de réflexion et de tourments, mais j’ai voulu être le plus honnête possible avec lui, je le respecte trop pour abriter un disque qui ne m’avait pas convaincu. J’ai donc pris mon courage à deux mains, écrit un long mail à Peter, et il m’a répondu : “Sean, c’est le meilleur mail que j’ai dû recevoir d’un label indépendant pour expliquer un non-accompagnement”. L’album sortira finalement chez Microculture et quelques temps après nous avons de nouveau collaboré ensemble.

La cagette culturelle

Tu as inauguré cette année un nouveau concept : “la cagette culturelle”, peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?

C’est pour l’instant un projet assez symbolique, ce qui était aussi l’ambition du projet. Lorsque que l’on y a réfléchi avec Laurent du label Platinum on était en pleine période de confinement. L’idée était de sortir un coffret avec d’autres producteurs, qui ne viennent pas du milieu de l’industrie musicale. Cela faisait longtemps que je souhaitais créer des ponts avec des entreprises, qui ne sont pas des producteurs de musique. J’ai toujours eu la volonté de décloisonner les réseaux et de collaborer avec d’autres gens. Laurent m’a dit qu’il connaissait une femme qui faisait du vin bio, moi je suis un amateur de bières artisanales depuis de nombreuses années, je connaissais donc un petit peu les brasseries indépendantes autour de Bordeaux. J’ai également rencontré une éditrice indépendante avec qui j’ai pas mal échangé lors d’un salon du livre. Pour l’instant, c’est surtout symbolique, le but étant de montrer que des producteurs indépendants peuvent porter des projets ensemble. Le problème que l’on rencontre avec cette cagette culturelle, c’est que nous sommes sept producteurs et nous n’avons pas tous le même temps à y consacrer.

Travailles-tu uniquement via des contrats de licences ?

Alors ça dépend, il y a un peu de tout. A l’origine du label, quand je n’étais pas encore très structuré, j’utilisais effectivement des contrats de licence. Je travaillais avec  des artistes qui avaient déjà enregistré des albums, qui appartenaient ou non à un label, ou un artiste qui avait financé la production de son disque. Dans ce cas, l’artiste arrive avec le master pour te proposer une collaboration, ça ce sont ce qu’on appelle les droits de licence, et cela te permet de sortir un disque rapidement, en trois ou quatre mois. Après, il y a différents types de contrats de licence. Les miens ont un peu évolué, je fais des contrats de licence avant même que les groupes n’enregistrent, en leur donnant une avance pour qu’ils puissent finaliser leurs démos par exemple. Et puis ce que j’apprécie aussi, notamment parce qu’on a de plus en plus de projets français, ce sont les contrats de production qui te permettent d’accompagner le projet depuis les démos jusqu’à la commercialisation du disque. Là, ce sont des investissements plus sur le long terme, on prend en charge tout ce qui est location du studio, salaire des musiciens, ingénieur et direction artistique, post-production, mastering, duplication des supports, etc … Dans ce cas, j’interviens plus tôt et de façon un peu plus artistique sur le choix des morceaux, l’orientation à prendre sur tel titre, et puis tu as la certitude de ne pas perdre les droits, de construire un catalogue de façon plus sûre, mais cela nécessite des investissements financiers plus importants.

Quelles sont les principales sources de revenus du label ?

Majoritairement ce sont toujours les revenus phonographiques. On est sur du 50/50 entre les supports physiques et numériques. Le plus compliqué à l’heure actuelle est de proposer différents formats pour répondre au besoin du public. On ne peut notamment pas se passer de faire du CD car il y a encore des gens qui achètent ce type de produit. On a aussi fait très ponctuellement de la cassette pour les fans hardcore. Il faut évidemment travailler aussi tout ce qui est plateforme numérique, être présents sur tous les fronts. C’est un peu comme la promo, il faut que l’on s’adresse à la presse papier, à la PQR, à la presse spécialisée, à Radio France, aux radios indépendantes, mais aussi à tout ce qui est lié au net. Les revenus numériques avaient augmenté ces derniers temps, là ça plafonne un peu. J’ai également beaucoup développé mes activités sur l’export, ce qui m’aide énormément. Le fait d’avoir un catalogue qui est représenté sur l’ensemble du territoire européen, un partenaire sur les Etats-Unis, des disquaires au Japon, à Taiwan, cela permet d’avoir de belles commandes. Pour le streaming, le fait d’avoir des groupes internationaux aide beaucoup. J’ai aussi développé tout ce qui est placement de musique, j’ai la chance d’avoir un catalogue très cinématographique, donc je touche le cinéma, les séries, mais aussi les publicités, cela peut fournir des revenus complémentaires qui ne sont pas négligeables.

L’avènement des plateformes de streaming musical a-t-il été bénéfique ou néfaste pour ton activité ?

Les esthétiques musicales ont considérablement évolué depuis ces dix dernières années. D’une musique majoritairement pop, rock et folk on est passé à une musique de la nouvelle génération, qui est majoritairement de type urbaine. Ce que veulent capter les plateformes de streaming c’est ce public jeune, et il faut donc mettre en avant la musique qu’ils écoutent. Et la grosse problématique qu’on rencontre avec ces plateformes, c’est que les propositions artistiques sont un peu biaisées. Toutes les majors ont en effet pris des parts dans ces plateformes de streaming, et elles vont donc demander à ce que leurs productions soient mises en avant dans les playlists. On est confronté à une forme de concentration du marché qui est très compliquée à surmonter.

Dans une interview datant de 2007 tu disais devoir te restreindre sur les activités du label par faute de moyens. Est-ce que cette situation a évolué ?

2006 et 2007 ont en effet été des années compliquées, mais heureusement j’ai passé ce cap. 2005 avait pourtant superbement démarré : je sors les albums de Wedding Present, The Organ, The National, et puis la même année mon distributeur physique dépose le bilan. J’ai perdu tout le bénéfice de mes ventes, cela a énormément fragilisé l’entreprise. J’ai mis du temps à retrouver un équilibre financier  et dû remettre de l’argent dans le label. Heureusement, tout le capital que j’ai investi dans Talitres, j’ai pu me le rembourser. J’ai également pu créer un emploi en CDI, et un poste de comptabilité/administration, qui est mutualisé avec 2 autres labels.

Motorama

Motorama est l’un des groupes phare de Talitres, comment t’es-tu retrouvé à signer un groupe originaire de Rostov-sur-le-Don ?

Motorama, je les ai découverts en 2012 dans une galerie d’art de Talinn en Estonie. C’est un groupe qui était très dans le “do it yourself”, mais qui avait déjà commencé à faire des tournées en Europe même si c’était de façon assez précaire. Quand je les ai approché, leur manager de l’époque me dit qu’effectivement ça serait bien qu’ils signent avec un label, mais que le groupe était un peu réticent car ils craignaient de perdre un peu de leur liberté. Et là, j’ai eu une discussion très intéressante avec eux, pendant laquelle j’ai su démontrer que je pouvais leur certifier de garder une certaine indépendance, tout en leur permettant d’avoir un peu plus de confort financier, une meilleure exposition médiatique, et peut-être de leur permettre de vivre de leur musique, ce qu’ils ne faisaient pas à l’époque. De plus, ils avaient déjà entendu parlé de Talitres avant que je les approche, et ils se reconnaissaient dans certains artistes du catalogue comme Destroyer, The Walkmen ou The Organ.

Pourrais-tu nous parler des prochaines sorties et des dernières signatures du label ?

J’ai eu une période assez récente où j’étais à la recherche de nouveaux projets et je n’ai pas trouvé grand chose, excepté une artiste américaine : Kera. Elle n’a pour l’instant que deux titres mais j’aime beaucoup ce qu’elle fait et son label cherche des partenaires sur l’Europe. Sinon, au niveau des sorties, il va y avoir le nouvel album de Raoul Vignal, qui sera à mi-chemin entre son premier, qui était très épuré, avec un côté Nick Drake, et le second qui était peut-être plus orchestré. On va également rééditer au printemps prochain l’album A Life Full of Farewells de The Apartments.

Est-ce que tu pourrais signer un artiste que tu n’apprécies pas humainement ?

Oui, car il m’est déjà arrivé d’héberger des artistes qui se sont avérés ne pas être les plus honnêtes du monde, et pour autant ils font de la belle musique, je suis alors conscient que notre relation ne sera que très ponctuelle et sporadique. Tu ne construis pas une relation sur le long terme que par des contrats, les artistes que j’arrive à suivre longtemps sont en général des artistes avec qui j’ai des relations vraiment humaines.

Dans les années 80 existait une scène bordelaise rock avec des groupes comme Noir Désir, Gamine, Les Stilettos ou encore Kid Pharaon. Est-ce qu’elle perdure encore aujourd’hui ?

Je ne suis pas bordelais d’origine donc je ne pourrais pas témoigner de ce qui se passait dans les années 80. Il y a toujours une certaine forme d’activisme bordelais. La ville a quand même un certain nombre de lieux, de caves où les musiciens peuvent se retrouver, répéter, composer, mais les styles musicaux sont complètement éclatés, entre l’électro, le rap, la folk, la chanson française. Il y a donc moins de scènes clairement identifiées bordelaises que dans les années 80, 90.

L’album Perils From The Sea de Mark Kozelek et Jimmy Lavalle

Si tu pouvais d’un coup de telecaster magique signer le groupe ou l’artiste que tu souhaites : ce serait lequel ?

Je dirais sans hésitation Red House Painters, et notamment le projet que Mark Kozelek a fait avec Jimmy Lavalle. Leur album Perils From The Sea est réellement mon disque de chevet depuis 10 ans. J’aime beaucoup le mariage entre les atmosphères vaporeuses et électroniques de The Album Leaf et la voix distanciée de Mark Kozelek. Il y a aussi un autre groupe dont je suis ultra fan et que j’aurais vraiment aimé avoir chez Talitres c’est Hood.

Pour conclure, quel est le plus beau compliment qu’un groupe de ton label puisse te faire ?

Question difficile … Certains me remercient sincèrement et me disent que l’accompagnement du label leur a permis de faire évoluer leur carrière, ce qui est déjà un beau compliment. Mais finalement je dirais qu’un groupe rejoint Talitres pour ce que le label représente et parce qu’il se reconnaît dans le catalogue.

Merci à Sean Bouchard pour cet entretien.

Pour compléter cet article, une playlist de tous les artistes du label en écoute ici

Le site web de talitres ici

Les albums au formats vinyle, CD et digital sont disponibles ici

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