Going to Limoge : le nouveau voyage de Paul Félix

Au milieu des années 80, Gamine a marqué la scène pop française avec son élégance mélodique et ses refrains mélancoliques. Après une décennie d’activité, le groupe bordelais s’était éclipsé, laissant derrière lui une poignée de chansons devenues cultes. Derrière cette aventure, la voix de Paul Felix, , incarnait toute une génération en quête de rêve et de douceur. Après une longue parenthèse spirituelle passée dans des retraites bouddhistes, il revient aujourd’hui avec un nouvel album, Going to Limoges. Rencontre avec un artiste apaisé, qui regarde le passé avec lucidité et le présent avec sérénité.

En repensant à l’époque de Gamine, quel souvenir marquant te revient spontanément ?

Un de mes meilleurs souvenirs avec Gamine reste la tournée que nous avons faite en première partie des Barracudas. Ils nous ont vraiment influencés pour la suite du groupe. C’était un groupe incroyable sur scène, et je pense que les Stone Roses leur doivent beaucoup pour leur son. Leur style était très surf/punk, influencé par Iggy Pop, dont le chanteur était fan. Un autre grand souvenir, c’est lors de notre tournée en Angleterre : un soir où nous jouions à Londres, il n’y avait pratiquement personne dans la salle… et là, on voit arriver Mick Jones, le guitariste de The Clash.

J’ai interviewé Philippe Lavergne, chanteur des Freluquets, qui me disait à propos de la scène pop française des 80’s : “Il n’y a jamais eu d’échange, d’esprit d’entraide, mais toujours cette compétition stupide. Gamine fait figure d’exception.” Est-ce que tu partages ce point de vue ?

À l’époque, c’est vrai qu’on ne se parlait pas beaucoup entre groupes, et qu’il pouvait y avoir un peu de compétition. Je me souviens de Noir Désir, qui avait plus de succès que nous parce qu’ils étaient bien meilleurs sur scène. Lorsqu’ils ont sorti Aux sombre héros de l’amer, je m’étais dit : “Tiens, cet harmonica et cette guitare sèche, ça me dit quelque chose !” Mais bon, ce n’est pas nous qui avons inventé ça. On va dire qu’il y avait des vases communicants entre les groupes.

Récemment, tu as été invité à jouer Le Voyage sur scène avec le groupe Aline. À quel moment as-tu pris conscience de l’influence que Gamine a eue sur d’autres artistes ? Et selon toi, pourquoi ces morceaux ont-ils traversé le temps ?

On devait avoir un don pour faire de bonnes chansons (rire). Je pense avoir un bon sens musical, et Paco savait aussi pondre de super riffs de guitare. À l’époque, j’étais tellement pris dans mon mal existentiel que j’avais du mal à goûter au succès, à la reconnaissance. Mais c’est aussi un cadeau empoisonné : tu te fais taxer de groupe commercial, de groupe vendu, parce que tu as du succès. Donc on n’imaginait pas vraiment que nos morceaux deviendraient un peu cultes pour toute une scène.

Après la sortie de Dream Boy, le groupe s’est arrêté. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Pendant notre tournée en Angleterre, Decca nous avait proposé de sortir le single Two People of a Different Kind. C’était une super opportunité, mais ça a été bloqué par Barclay. On devait resigner avec eux pour deux albums, et finalement, je suis allé dans leurs bureaux juste pour leur dire que je refusais. Ça a un peu signé notre fin.
Et puis, avec Paco, on était souvent en désaccord sur la direction artistique que devait prendre le groupe. Ça faisait déjà dix ans qu’on avait commencé Gamine, il y avait un peu de lassitude.

Y a-t-il du matériel qui pourrait ressortir de cette période ?

Oui, on en a parlé avec Paco, mais pour l’instant les négociations sont à l’arrêt.

Tu as passé plusieurs années dans une retraite bouddhiste, tu avais arrêté toute activité musicale ?

Je n’avais pas complètement arrêté la musique, mais je jouais de la musique traditionnelle tibétaine. Le soir, pendant les retraites, on pratique ce qu’on appelle le rituel protecteur de l’enseignement du Bouddha, et on y joue des instruments traditionnels tibétains : tambours, conques, cloches…
Ce qui est assez étrange, c’est que, bien qu’étant en retraite, j’avais parfois l’impression d’être un peu en tournée. On était entre mecs, comme avec Gamine, et il y avait ce même esprit de découverte, d’aventure. La grande différence, c’est qu’il n’y avait pas cette tendance à cultiver un ego surdimensionné, souvent due à un manque de maturité. Il faut dire que c’est difficile de garder la tête froide quand on voit sa tête à la télévision.

Qu’est-ce que le bouddhisme t’apporte aujourd’hui ?

Il m’aide à prendre du recul par rapport à mes émotions, à apprécier chaque instant de la vie un peu mieux. On s’impose une discipline pour que l’esprit puisse se défaire de ses entraves à la liberté et au bonheur. L’essentiel de ce qui empêche l’esprit d’être libre, ce ne sont pas les conditions extérieures, mais l’esprit lui-même, qui, sous le joug de l’ego, se méprend sur la nature des choses et de nous-mêmes. On croit être une personne isolée, alors qu’en réalité, on n’est pas séparé des autres, de la nature ou de la mort. Il n’y a jamais de véritables séparations, seulement des catégories mentales. C’est cela qu’on médite : cultiver cette compréhension, qui amène à plus de bonheur.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de revenir ? Y a-t-il eu un moment déclencheur ?

Oui, complètement. Un jour, alors que j’étais encore au monastère, j’ai fait un rêve dans lequel je pleurais parce que je ne chantais plus. C’est à ce moment précis que je me suis dit qu’il fallait que je refasse de la musique.

Ce retour t’a-t-il posé des peurs, des doutes ?

Oui, ce n’était vraiment pas évident de faire ce disque. Quand j’ai recommencé à composer, je me suis promis d’aller au bout, de ne pas laisser les morceaux à l’état de petites démos inachevées. Il y a eu plein de moments où j’ai failli tout arrêter, mais le fait que des gens prenaient régulièrement des nouvelles pour savoir où j’en étais m’a poussé à avancer. Ma compagne m’a beaucoup soutenu également — elle a d’ailleurs posé sa voix sur deux titres de l’album.

Pourquoi nous invites-tu à aller à Limoges ?

Pendant ma retraite, il y avait un lama, Lama Jeudi, assez farceur, qui disait dans un français approximatif aux personnes en retraite et qui ne mangeaient pas beaucoup : “Manger, c’est bien ! Si people pas manger, craqué coming and Limoge going !”
Parce qu’il avait vu certaines personnes finir au centre psychiatrique de Limoges… (rires) Donc Going to Limoges, c’est un peu une métaphore de la folie du monde.

Peux-tu nous parler de l’écriture de cet album ?

Je suis super content d’avoir fait ce nouvel album, et je commence à vraiment l’apprécier. Quand on a commencé à l’enregistrer avec Fabien, ce n’était pas toujours simple : on avait parfois du mal à se mettre d’accord sur la direction artistique. Mais on a aussi su se retrouver par moments : il y a deux ou trois morceaux qu’on a faits très facilement. Finalement, on a passé deux ans à enregistrer, en onze sessions de trois ou quatre jours chacune.

La fuite du temps est un thème récurrent dans l’album et déjà à l’époque de Gamine. Est-ce quelque chose que tu redoutes ?

En tant que bouddhiste, je ne devrais pas le redouter. Je n’éprouve pas vraiment de regrets ni de nostalgie pour ce que j’ai vécu, parce que c’est révolu.
Dans le bouddhisme, on pense aux vies futures : on ne considère pas que la vie se termine et qu’après, il n’y a plus rien. Je cultive cette idée que la vie et la mort font partie d’une même chose. Comme le dit la chanson de Jean-Louis Aubert : “La vie est une journée, la mort une nuit.”

Tu t’es entouré de Fabien Cahen (production, guitares), Philippe Entressangle, Alain Verderosa… Comment s’est fait le choix de cette équipe ?

Ça s’est fait un peu par le jeu des connexions. Laure Fourcade, qui a fait les photos et le clip de Se pourrait-il, est une amie de longue date. On s’est revus à Paris, elle a fait écouter une de mes démos à Fabien, son compagnon, qui l’a beaucoup aimée et m’a proposé de faire un album ensemble. Le week-end après la dernière session, j’étais déjà rentré en Dordogne, et lors d’une soirée, Fabien a fait écouter les enregistrements à Philippe et Alain, ça leur a plu et ils ont souhaiter faire la batterie et la basse.

Quels artistes récents t’ont marqué ?

Les titres qui me viennent tout de suite à l’esprit sont Strongest Man Alive de The Franklin Electric et Search for Life de Dirty Projectors. Mais il y en a plein d’autres dont les noms ne me reviennent pas, notamment dans la scène française.

Après Going to Limoges, que prévois-tu pour la suite ?

Déjà, effectuer une tournée pour défendre Going to Limoges, et puis, oui, j’aimerais bien enchaîner avec un autre album.

Merci à Paul Félix de nous avoir accordé cet entretien.

GOING TO LIMOGES | PAUL FELIX | HOT PUMA Records

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