TINALS : Un beau retour
Né d’une envie simple : faire venir à Nîmes les concerts qui manquaient à la ville, le festival TINALS est devenu en quelques années un rendez-vous incontournable de la scène indépendante. De la débrouille des débuts à sa renaissance sous le nom de Beau Week-End, l’aventure raconte autant une passion collective qu’une certaine idée de la culture, libre et engagée. À travers cette interview, un des fondateurs, Walter Wizman, revient sur l’histoire du festival, ses choix artistiques et les coulisses de son retour.
Comment le TINALS a débuté ?
C’était presque un alignement de planètes parfait. D’un côté, nous étions un groupe de passionnés qui avions, à un moment donné, eu l’envie d’organiser des concerts sur le territoire de la ville de Nîmes. Il faut dire qu’à l’époque, nous étions un peu en déshérence : pour voir des concerts, on était obligés d’aller à Montpellier ou à Marseille.
On avait fondé une première association qui s’appelait « Demande moi de m’arrêter » et on avait commencé à organiser quelques concerts. Puis, en 2012, l’association a changé de nom pour devenir « Come On People », et c’est à ce moment-là qu’on a eu envie de créer un festival.
On avait beaucoup fréquenté des festivals, notamment le Primavera, qu’on aimait bien mais on trouvait que c’était devenu trop gros. On voulait monter quelque chose qui nous ressemble : un festival où l’on aurait nous-mêmes eu envie d’aller.
Parallèlement, en 2010, quand le projet de la SMAC Paloma a vu le jour, Fred Jumel, son directeur, a souhaité rencontrer toutes les personnes impliquées dans le milieu associatif et les acteurs de terrain. On s’est rencontrés et, très vite, on s’est rendu compte qu’on partageait la même vision : la décision de monter un festival s’est prise en trois secondes.
On n’aurait jamais imaginé pouvoir réaliser un festival dans ces conditions-là, à cette échelle et aussi rapidement. TINALS 2013 est né un peu comme ça, à l’arrache. Tout s’est monté dans l’urgence : on a décidé en décembre d’organiser quatre soirées de concerts en mai. Mais si on ne l’avait pas fait à ce moment-là, on aurait toujours trouvé une bonne raison de repousser.
On a tout fait nous-mêmes, sans aide extérieure, en faisant parfois des erreurs, en ayant des doutes, mais aussi beaucoup de débrouille. On a avancé avec les moyens dont on disposait : peu de réflexion, mais énormément d’envie et d’instantanéité. Et c’est aussi ça qui était chouette.
Après plusieurs années d’activité, le festival annonce son arrêt : quelles en sont les raisons ?
D’année en année, on s’est laissé porter par la dynamique : les ambitions ont grandi, la programmation aussi. En 2018-2019, on invitait des artistes qui n’avaient plus réellement besoin de nous pour rayonner. Derrière ces grosses têtes d’affiche, il y avait de plus en plus de contraintes : des managements lourds à gérer, des exigences logistiques importantes… Tout cela nous a progressivement éloignés de l’essentiel. On avait parfois le sentiment de devenir étrangers à notre propre festival.
Et puis, c’était aussi la fin d’un cycle. Après sept ans, on ressentait le besoin de faire une pause, de prendre du recul, d’envisager quelque chose de différent.
On s’est également interrogés sur notre indépendance : quand de grosses marques commencent à vouloir te racheter, quand des tourneurs te proposent toujours des artistes plus gros, ça pose forcément beaucoup de questions.
Collectivement, on a décidé de s’arrêter et de faire une pause, sans imaginer qu’une crise comme celle du Covid allait suivre, ni que les budgets alloués à la culture allaient connaître de fortes baisses.
Six ans après la dernière édition, le festival renaît de ses cendres avec un nouveau concept, « Beau Week-End » : pourquoi avoir voulu repartir sur un nouveau projet, et en quoi est-il différent du précédent TINALS ?
Après ce tunnel de six ans, on n’avait pas oublié pourquoi on s’était arrêtés, et il était hors de question de revenir en proposant exactement la même chose. On avait en tête les éditions TINALS 2014-2015, en se disant qu’on ne voulait pas faire rêver les gens uniquement avec de grosses têtes d’affiche, mais plutôt leur proposer un vrai moment de découverte, et surtout la promesse de passer un « beau week-end », c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’a appelé comme ça.
On revient sous une autre forme : deux jours au lieu de trois, une trentaine de groupes au lieu de soixante, moins de scènes, mais toujours cette même exigence artistique.
L’objectif reste identique : faire vivre de bons moments et proposer des groupes capables de transporter le public.
Quelque part, on est en train d’écrire une sorte de préquel de TINALS : ce que le festival aurait pu être si on avait eu moins de moyens et moins de grosses têtes d’affiche. Mais ce sont toujours les mêmes personnes aux manettes et la même passion qui nous anime.
Et puis, dans un festival, la programmation est importante, bien sûr, mais ce n’est pas tout : les gens viennent aussi pour se détendre, se retrouver. Nous, on propose 48 heures pendant lesquelles on peut se couper du reste et simplement profiter. C’est quelque chose auquel on est très attaché : que les gens se sentent bien. Ils payent leur place, ce n’est pas pour y trouver de l’agacement ou de la violence.
Pendant toutes ces années, on recevait régulièrement des messages nous demandant quand TINALS allait revenir. Quand on a relancé le projet, la réponse a été incroyable. À ce moment-là, on s’est rendu compte qu’on avait vraiment construit quelque chose.
Quelle est la ligne directrice qui guide vos choix de programmation ?
On a fait le choix de présenter des artistes internationaux, notamment lorsqu’ils sont déjà en tournée en Europe pour d’autres raisons. L’idée est de construire une affiche riche en découvertes mais aussi en diversité sonore.
Le rock indé est un univers très large, mais on est aussi fans de musique électronique, de rap et d’autres esthétiques : les musiques actuelles sont multiples et on souhaite que le festival en soit le reflet.
On tient également à permettre au public de passer d’une ambiance à une autre : enchaîner un groupe à guitares avec quelque chose de plus calme ou de plus électronique. Et surtout, on programme des artistes qu’on aime sincèrement : quand on fait venir un groupe au TINALS, c’est avant tout parce qu’on a un vrai coup de cœur pour sa musique.
Le modèle économique des festivals indépendants reste fragile. Comment faites vous pour rester viable économiquement ?
Il faut déjà savoir qu’on ne gagne pas d’argent avec un festival, sauf peut-être quand on dépasse un certain seuil de fréquentation, grâce au volume de places vendues. Il faut savoir que les coûts fixes sont énormes, que tu accueilles 500 ou 3 000 personnes.
Si tu ne veux pas augmenter les tarifs, parce que ce n’est pas ta politique, et si tu tiens à préserver ton indépendance, tu dois forcément passer par des partenariats et du mécénat, qu’ils soient publics ou privés. Il faut aussi définir très clairement l’enveloppe consacrée à l’artistique. Pour « Beau Week-End », on est partis d’un budget fixe auquel on devait se contraindre.
Du côté des recettes, il y a essentiellement la billetterie, et dans une moindre mesure le bar. L’objectif n’est pas de faire du bénéfice, c’est surtout d’arriver à l’équilibre et, avant tout, d’éviter de perdre de l’argent.

Est-ce que vous pourriez continuer sans subventions publiques ?
Non, ce ne serait pas possible. Ce sont justement les subventions publiques qui offrent cette liberté. On peut les voir comme un investissement sur un territoire : elles permettent de faire rayonner une ville. C’est un vrai choix politique, dans la mesure où il existe une volonté de soutenir la culture.
On voit d’ailleurs aujourd’hui que si de nombreux festivals sont en difficulté, c’est parce que les premiers budgets à être rabotés sont souvent ceux liés à la culture. Or, l’équilibre économique d’un festival est extrêmement fragile : il suffit d’une année où le public est moins présent, où des artistes se désistent, ou encore d’une météo défavorable pour que la situation devienne très compliquée.
Travaillez-vous avec les bénévoles ? existe-t-il un tissu associatif local avec lequel vous collaborez ?
Comme dans tous les festivals, on travaille avec des bénévoles. On dispose d’un noyau fidèle qui revient chaque année. On privilégie généralement les personnes qui sont déjà venues ou qui possèdent des compétences spécifiques.
Jusqu’à présent, on organisait le festival plutôt de notre côté, avec une équipe composée à la fois de membres de « Come On People » et de l’équipe de Paloma.
Cette année, l’un des grands changements a été l’envie d’ouvrir davantage le projet en associant d’autres structures locales. On a ainsi sélectionné cinq structures liées à la musique pour leur proposer de participer à la mise en place de « Belle Journée », les concerts qui se déroulent l’après-midi en centre-ville.
C’était une première pour nous, une expérience très positive, et on a bien l’intention de renouveler l’initiative l’année prochaine.
Quels sont les retours sur cette première édition de Beau Week-End ?
On a été complètement inondés d’amour, avant, pendant et après le festival. Malgré quelques petits soucis, on a reçu énormément de messages hyper bienveillants.
J’ai été le premier surpris quand on a lancé la vente des « blind pass » : à 12 h à l’ouverture, et à 17 h on en avait déjà vendu 700, sans avoir annoncé le moindre artiste. Ça prouvait qu’il y avait une attente énorme autour du projet.
Pendant le festival, on filmait et on prenait des photos pour alimenter nos réseaux sociaux, et on sentait vraiment que les gens étaient heureux d’être là. En termes de fréquentation, c’était quasiment complet : environ 7 000 personnes sur le week-end.
Cette année, avec une affiche un peu différente, on était très heureux de revoir à la fois les habitués des premières éditions et des trentenaires qui avaient manqué le festival à l’époque.
Avez-vous d’autres projets en lien avec le festival ?
Pour l’instant, notre action se concentre essentiellement sur le week-end du festival. Mais il n’est pas exclu que l’on développe des projets hors de Nîmes à l’avenir.
Rien n’est encore véritablement acté, mais on aimerait faire rayonner notre projet vers d’autres villes comme Marseille ou Toulouse. Nous avons déjà des affinités avec des structures associatives locales dans ces territoires, et l’idée serait de consolider ces ponts naturels entre les publics afin de promouvoir une scène musicale tout au long de l’année.
Est-ce que tu as une anecdote amusante ou insolite à nous partager ?
Des anecdotes, on en a plein ! Nous sommes des passionnés de musique indé des années 90, et on s’est parfois retrouvés à partager des moments très simples avec des groupes qu’on n’aurait jamais imaginé approcher un jour. Partager un repas, discuter avec des groupes comme The Breeders, par exemple, qui sont venus deux fois au TINALS. Tu réalises à quel point tu as de la chance de pouvoir vivre et partager ces instants là.
Je ne cherche pas particulièrement à créer des contacts avec les artistes. C’est leur métier, et on n’a pas forcément envie d’entrer dans leur sphère intime. Mais il arrive que les échanges se fassent naturellement, dans des moments où ils sont simplement contents de partager.
Une fois, lors d’une « Love Night », on avait organisé un atelier de dégustation de vin avec Mudhoney. Je me suis retrouvé à faire toutes les traductions en anglais pour décrire les vins : c’était complètement inattendu !
C’est dans ces moments-là que tu te rends compte que les artistes se sentent bien au festival. Et puis, le bouche-à-oreille fonctionne : ils se passent le mot pour dire que TINALS est un festival où l’on est bien accueilli.
Quels sont les concerts qui t’ont particulièrement marqué ?
Pour des raisons personnelles, je diras que faire jouer Steve Albini avec Shellac a été un moment très fort : c’est l’un des groupes que j’aime le plus.
Je disais justement que je garde toujours une certaine distance avec les artistes, parce qu’on peut parfois être déçu … mais là, ils correspondaient totalement à l’image que j’avais d’eux : des gens intègres, simples et authentiques.
Sinon, le très gros choc que j’ai vécu, c’est quand on a accueilli IDLES pour leur premier album. Ils ont livré sans doute le show le plus fou qu’on ait jamais programmé au festival.
Quel est le groupe ou l’artiste que tu rêverais de programmer ?
Je te dirais celui que personne ne connaît encore et qui explosera juste après être passé chez nous. C’est celui-là que j’aimerais avoir.
Après, parmi les groupes qu’on aurait rêvé de programmer, il y a Fugazi, Dead Kennedys ou Jesus Lizard parce qu’on vient de cette scène là.
J’aime bien le revival, mais je préfère quand même découvrir de nouveaux groupes, maintenant, si on nous propose de faire jouer The Cure dans le patio, je ne dis pas non (rires).
Merci à Walter Wizman de nous avoir accordé cet entretien.
